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Revoici la révision constitutionnelle

Revoici donc la révision constitutionnelle ! Ou plutôt, « les révisions constitutionnelles », devrait-on écrire.

En effet, lors de la célébration du 65e anniversaire de la Constitution au Conseil constitutionnel, le 4 octobre dernier, le Président de la République a de nouveau évoqué trois sujets de modification de la Constitution : l’interruption volontaire de grossesse, le référendum, avec les conditions du référendum d’initiative partagée et l’extension du champ référendaire, et la décentralisation, notamment à propos de la Corse et de la Nouvelle-Calédonie.

Si une évolution sur ce tout dernier point est rendue nécessaire par l’échéance fixée par les Accords de Nouméa, encore dépend-elle des solutions qui pourront être trouvés entre loyalistes et indépendantistes. Mais leurs négociations n’ont pas encore abouti, l’Union calédonienne (l’un des partis indépendantistes) ayant même annoncé ne plus y participer d’ici à son Congrès, prévu en cette fin de semaine.

 

La Constitution scelle notre pacte national et ne saurait être l’objet de manœuvres politiciennes 

Quant à la Corse, les autonomistes locaux devront, là aussi, être associés pour réfléchir à l’avenir institutionnel et constitutionnel du statut de cette collectivité, qui bénéficie déjà de nombreuses spécificités. Le succès d’une réforme constitutionnelle sera toutefois plus incertain, en raison de l’attachement connu du Sénat et de la droite républicaine à l’indivisibilité de la République. Mais il est vain, à ce stade, d’envisager des hypothèses sur un projet qui n’a encore rien de concret.

En revanche, les deux autres sujets se précisent plus rapidement, sans que leur succès ne soit garanti pour autant.

La question référendaire avait déjà été abordée lors des premières « Rencontres de Saint-Denis » du 30 août dernier. Le 5 novembre, le Président de la République a de nouveau invité l’ensemble des chefs de parti à de nouvelles rencontres, programmées le 17 novembre. Le chef de l’État y précise qu’il souhaite « renforcer la souveraineté populaire et la vitalité démocratique de notre pays », en indiquant, d’une part, que « Les Français doivent pouvoir s'exprimer sur les grandes questions qui les engagent collectivement » et, d’autre part, que la procédure du RIP doit être clarifiée, afin de pouvoir être enclenchée avec des seuils moins élevés (1/10e des membres du Parlement, soutenus par 1 million d’électeurs, contre 1/5e de parlementaires et près de 5 millions d’électeurs actuellement).

Ces deux aspects (élargissement du champ et déverrouillage du RIP) sont effectivement les plus attendus par les diverses forces politiques et les Français, sans pour autant qu’ils se rejoignent tous quant à leurs modalités. Néanmoins, confirmée à la veille du début de l’examen de la loi controversée sur l’immigration (et du début du procès du Garde des Sceaux devant la Cour de justice de la République), cette initiative sert avant tout une ambition politique : détourner les regards de sujets clivants en proposant une réforme supposément consensuelle, tout en servant la volonté du Président de la République de marquer l’histoire constitutionnelle. Elle n’est donc que pure manœuvre politicienne, une nouvelle fois.

Or la Constitution scelle notre pacte national et ne saurait être l’objet de manœuvres politiciennes. La procédure de l’article 89 est précisément vouée à l’empêcher.

Il en est exactement de même du dernier sujet de réforme, pour lequel un projet de loi constitutionnelle vient d’être renvoyé au Conseil d’État et que La Constitution décodée s’est procuré.

Le Président de la République propose d’ajouter un alinéa à l’article 34 de la Constitution, qui disposerait que « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

Il s’agit, là encore, de prendre une initiative sur un sujet supposément consensuel, puisque le Sénat a voté une proposition de loi constitutionnelle presque identique et que Mathilde Panot, son auteur initial, acceptant les modifications sénatoriales, avait demandé au chef de l’État de la reprendre à son compte.

Les motivations de cette réforme sont toutefois surprenantes. Alors que le Président de la République avait clairement – et sagement – souligné, le 4 octobre dernier, qu’« on ne révise pas la Constitution sous le coup de l’émotion », les motifs de cette révision font expressément référence à la décision de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022, « qui a produit l’effet d’une onde de choc pour les libertés à travers le monde ».

Faudra-t-il, désormais, ajouter un alinéa à l’article 34 à chaque fois que la Cour suprême des États-Unis qui nous heurte ?

Le sujet du droit des femmes de pouvoir recourir à une interruption volontaire de grossesse et, plus largement, du droit de chacun de pouvoir librement disposer de son corps est suffisamment important pour mériter une réflexion qui ne soit pas une simple réaction, inspirée par une manœuvre politique.

D’autant moins que, en l’état, les effets d’une telle modification de la Constitution seront quasi-nuls. L’effectivité du recours à l’avortement dépend, on le sait, tant des modalités que de la disponibilité des médecins et des hôpitaux. Or tant que la loi prévoit la possibilité de recourir à une interruption volontaire de grossesse, dont le délai reste (et doit rester) à l’appréciation du législateur, la liberté peut être constitutionnellement préservée tout en étant substantiellement altérée, par exemple en réduisant ledit délai à moins de huit semaines. Et l’ajout de la formule « qui lui est garantie » n’aura sans doute pas pour effet d’interdire au législateur de moduler ce délai à sa guise, le Conseil constitutionnel ne disposant pas d’un pouvoir d’appréciation identique à celui du Parlement, selon la formule consacrée. Enfin, aucune révision constitutionnelle ne facilitera l’accès des femmes aux consultations médicales nécessaires, alors que le manque de médecins est précisément ce qui freine le plus l’accès à l’IVG, en France, aujourd’hui.

L’inutilité de cette réforme étant démontrée, reste à en apprécier les véritables motivations… pour constater que, si elle paraît consensuelle, rien n’est acquis.

Il est incontestable que « l’adoption de ce texte ferait de la France l’un des premiers pays au monde et le premier en Europe à reconnaître dans sa Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse », comme le souligne fort justement l’exposé des motifs. Ce serait une victoire du Président de la République…

L’avenir dira si ceux qui tiennent la clef du succès d’une révision constitutionnelle sont prêts à permettre une telle gloire. Mais on rappellera simplement que, en 2016, Jean-Jacques Urvoas, Garde des Sceaux, après validation du texte sénatorial sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature par l’Assemblée nationale, avait proposé de convoquer le Congrès. Le Sénat avait alors fait savoir qu’il ne ratifierait plus un texte qu’il avait pourtant bien voté. Peut-être que le contexte politique de l’époque n’y était pas tout à fait étranger…

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