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Immigration contre Constitution

Après le dossier de la réforme des retraites, dont le dernier acte n’a sans doute pas encore été écrit, l’immigration est désormais celui qui empoisonnera les prochaines semaines du Gouvernement et de la majorité.

En effet, après de multiples hésitations entre ne déposer aucun texte, un seul ou plusieurs, il a finalement été acté qu’un projet de loi portant réforme de l’immigration serait déposé au Parlement d’ici à l’été. Cependant, la configuration actuelle de l’Assemblée nationale ne permettra pas son adoption sans qu’une alliance soit à nouveau conclue avec d’autres groupes parlementaires. Inutile de faire durer le suspense : seuls Les Républicains sont en situation d’être concernés.

Et ils le savent.

 

Grever le budget national ou sortir de l’Europe, telle est l’alternative offerte par cette réforme 

Dans une interview au Journal du Dimanche, le Président du parti, entouré des Présidents des deux groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat, posent leurs conditions en proposant eux-mêmes une réforme de la politique migratoire, qu’ils qualifient de « projet de rupture, à la fois audacieux et sérieux ». Ce projet se décompose en une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi ordinaire : rien que la première est suffisamment « en rupture » pour retenir, à elle seule, l’attention, même si l’on peut parier dès à présent qu’elle ne verra jamais le jour.

D’après les informations du JDD, elle se décomposerait en sept articles, allant du refus des communautarismes à la réforme de l’asile, en passant par l’élargissement du champ du référendum et la remise en cause du principe de primauté, tant du droit international que du droit de l’Union européenne.

Ces ambitions traduisent des projets classiques de la droite, dont le durcissement de la politique migratoire est le fer de lance et qui n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai constitutionnel. En particulier, lors de la précédente législature, les sénateurs Les Républicains avaient déposé – et adopté – une proposition de loi constitutionnelle « visant à garantir la prééminence des lois de la République », dont l’ambition était de lutter, au niveau constitutionnel, contre toute forme de communautarisme. De même, fin 2017, Éric Ciotti avait également déposé une proposition de loi constitutionnelle permettant à la loi de fixer des quotas migratoires. Sous des formulations différentes, ces éléments sont repris dans la réforme constitutionnelle proposée.

Néanmoins, la réforme paraît, cette fois, encore plus « audacieuse », ajoutant d’autres aspects, dont certains sont pour le moins surprenants.

L’élargissement du champ référendaire à tout sujet, s’il est conforme aux dérives populistes d’une certaine droite (et même d’une certaine gauche), est une première pour ceux qui se revendiquent de l’héritage du Général de Gaulle. Certes, le référendum peut avoir ses vertus – même s’il ne peut se départir d’un travers majeur, en se privant de toute délibération possible –, mais l’ouvrir à tous les sujets peut se révéler dangereux, si, par exemple, la matière fiscale ou la matière pénale sont concernées sans limitation aucune.

De même, la réforme proposée est particulièrement europhobe, conduisant inévitablement à remettre en cause les engagements européens (notamment) de la France. C’est d’ailleurs pleinement assumé, puisque les articles 55 et 88-1 de la Constitution ont vocation à être révisés. Certes, sur le plan du droit interne, une telle remise en cause permettrait que les mesures introduisant des quotas soient validées, mais la France s’exposerait alors à de lourdes sanctions européennes, à moins qu’elle ne quitte l’Union.

Grever le budget national ou sortir de l’Europe (ce qui n’est pas non plus financièrement neutre), telle est donc l’alternative offerte par cette réforme qualifiée de « sérieuse ».

Alors que ces propositions sont destinées à ressouder une famille politique au bord de l’explosion à l’issue des débats sur les retraites, il n’est pas certain qu’elles y parviennent, tant elles paraissent aller à rebours de certaines convictions historiques de la famille gaulliste et, surtout, tant elles se rapprochent dangereusement des thèses de la droite extrême.

Il faut toutefois y voir une habile manœuvre politique de ceux qui sont, si ce n’est les « faiseurs de roi », du moins les « faiseurs de réforme » de la majorité.

En exposant d’emblée leurs propositions, ils entrent d’abord dans le jeu des négociations avec des positions fortes, tout en sachant que tout n’est pas acceptable et que seule une partie pourra être acceptée. Il ne leur aura certainement pas échappé qu’une telle réforme constitutionnelle n’a aucune chance de prospérer, mais elle constituera un levier de négociation : s’il faut y renoncer, alors il faudra céder sur d’autres aspects.

De plus, en posant ainsi une revendication constitutionnelle, il semblerait également que Les Républicains ferment la porte à toute autre révision. En effet, si le Gouvernement et le Président de la République devaient vouloir avancer sur d’autres sujets, la droite leur rappellerait ses prétentions, qu’ils ne sont pas en mesure d’accepter. À l’heure où la Présidente de l’Assemblée nationale est supposée inaugurer un groupe de travail sur le sujet, c’est donc une façon d’entraver d’emblée toute velléité institutionnelle de la majorité, mais sans le dire expressément.

Ainsi, plutôt que d’associer Constitution et immigration, comme pourtant ils le prétendent, Les Républicains viennent placer l’immigration contre la Constitution. Et contre des principes fondamentaux de notre République.

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