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Pourquoi la « révolution référendaire » de Le Pen pourrait être un coup d’État constitutionnel

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune sur lejdd.fr.

Notre Constitution est le fondement de notre démocratie.

Démocratique dès sa naissance, car elle a été adoptée par le peuple par un référendum le 28 septembre 1958, elle est démocratique dans son essence, en faisant de la France une République démocratique (article 1er), en consacrant le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple comme devise de la République (article 2), en attribuant au peuple la souveraineté nationale (article 3). Elle est encore démocratique dans son application, car les règles qu’elle fixe permettent à la démocratie de fonctionner : élection du Président de la République (article 6), des députés et des sénateurs (article 24), des membres des conseils des collectivités territoriales (article 72), possibilité d’interroger directement le peuple par référendum, au niveau national (article 11) ou au niveau local (article 72-1), ou encore ratification par le peuple d’une révision constitutionnelle, adoptée préalablement par les deux assemblées parlementaires (article 89).

Ainsi, le peuple détient, en vertu de notre Constitution, une place centrale, que cette même Constitution a vocation à préserver, en protégeant le peuple souverain des éventuels abus de pouvoir d’autres institutions ou des manipulations, souvent populistes, d’une personnalité tenter par un usage abusif du pouvoir. Le peuple et les institutions démocratiques ont vocation à se compléter dans l’exercice de leurs pouvoirs respectifs, pour que notre démocratie fonctionne de façon équilibrée. À l’inverse, la Constitution prévoit également des mécanismes protégeant le peuple ou les institutions en cas d’une tentative d’usurpation, voire d’abus de pouvoir de l’un ou des autres.

La Constitution ne permet pas qu’une question constitutionnelle soit soumise directement au peuple

Marine Le Pen, candidate au second tour de l’élection présidentielle, pourrait être démocratiquement élue Présidente de la République le 24 avril prochain. Or plusieurs points de son programme doivent nous alerter, car ils vont à l’encontre de notre règle fondamentale, ce qui soulève déjà une difficulté en soi. Mais l’inquiétude est d’autant plus grande que Madame Le Pen certifie qu’elle mènera à bien les différentes réformes envisagées, en procédant à une « révolution référendaire ».

Si le référendum trouve pleinement sa place dans notre Constitution et qu’un Président de la République peut effectivement le mobiliser pour interroger directement le peuple, encore faut-il le faire dans le respect des règles établies. Si ces dernières ne sont pas satisfaisantes, il est alors parfaitement possible de les modifier, tel qu’elles le prévoient et le permettent elles-mêmes, donc, toujours, dans le respect des règles établies. Aller à leur encontre et les violer serait un passage en force.

Il est ainsi possible de réviser la Constitution par référendum et aucune matière, si ce n’est la forme républicaine du Gouvernement, n’est exclue d’une révision constitutionnelle. Mais avant un tel référendum constitutionnel, il est nécessaire que le texte qui sera soumis à l’approbation du peuple soit adopté par chacune des chambres du Parlement, l’Assemblée nationale et le Sénat, en des termes identiques. Faute de cette étape parlementaire ou si les deux assemblées ne parviennent pas à s’accorder, le référendum ne peut avoir lieu et la révision ne peut aboutir.

En d’autres termes, la Constitution ne permet pas qu’une question constitutionnelle soit soumise directement au peuple et même un Président démocratiquement élu qui s’est engagé à réviser la Constitution ne peut échapper à un tel impératif : il est élu en vertu de la Constitution et rien ne lui permet de la violer. De surcroît, afin d’éviter les abus de pouvoir et la tyrannie, notre Constitution établit un système de pouvoirs et de contrepouvoirs, permettant que les uns et les autres se contrôlent, se freinent et s’équilibrent mutuellement. C’est particulièrement le cas en matière constitutionnelle, où la Constitution doit bénéficier d’une protection spécifique en raison de sa place au fondement de la démocratie.

Il est vrai qu’il y a 60 ans, en 1962, le Général de Gaulle a procédé à un coup de force : il a modifié la Constitution en faisant directement appel au peuple. Cependant, ce précédent ne suffit pas à rendre une telle procédure conforme à la Constitution. Déjà à l’époque, elle fut dénoncée par la quasi-totalité des experts et par une bonne partie de la classe politique, Gaston Monnerville, Président du Sénat, l’ayant qualifiée de « forfaiture ». Depuis lors, plus personne n’a sérieusement envisagé emprunter cette voie pour réviser la Constitution. Surtout, notre Constitution institue un Conseil constitutionnel pour veiller non seulement sur elle, mais aussi sur la démocratie, sur l’élection du Président de la République ou sur la régularité d’un référendum. Or depuis 1962, la jurisprudence du Conseil est nourrie de soixante ans d’expérience. Désormais, il peut examiner si la question posée au peuple par référendum s’inscrit effectivement dans le cadre constitutionnel qui est prévu. Si tel n’est pas le cas, il lui appartiendra d’annuler l’acte qui convoque les électeurs sur une question que la Constitution ne permet pas de poser.

Les institutions que notre Constitution démocratique établit, qu’il s’agisse du Parlement ou du Conseil constitutionnel, ne peuvent être contournées. Celui ou celle qui le ferait malgré tout commettrait un coup d’État constitutionnel.

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