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Dissolution, un an après

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

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Un an après la dissolution prononcée par le Président de la République au soir du 9 juin 2024, plusieurs interrogations persistent. Les plus importantes sont au nombre de trois : pourquoi, pour quoi, quand ?

Pourquoi ? Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il décidé de dissoudre l’Assemblée nationale après l’annonce des résultats des élections européennes ? On a toujours soutenu que cette décision était inévitable et prévisible (voir Un œil sur la Constitution du 11 juin 2024 : « Une dissolution inévitable »).

Bilan de cette dissolution : tout le monde y gagne et tout le monde y perd

Un an après, le recul permet de replacer ce constat dans le contexte global de l’année 2024, marquée par quatre événements majeurs de la vie politique : le renvoi d’Elisabeth Borne, la dissolution, le résultat des législatives et la motion de censure contre Michel Barnier. Les deux premiers événements s’inscrivent dans le prolongement du présidentialisme de la Ve République parlementaire. Le premier est une prérogative classique du Président de la République, qui peut limoger « son » Premier ministre quand il le souhaite, même lorsque la situation politique ne le justifie pas, comme ce fut le cas d’Elisabeth Borne. Le deuxième, quoiqu’il s’agisse toujours de sa prérogative, s’est en revanche imposé au Président, au soir d’une défaite qui apparaissait davantage comme une débâcle que comme une déroute.

Les deux événements suivants constituent, quant à eux, une forme de « revanche du parlementarisme ». Le résultat des élections législatives s’impose, là encore, au pouvoir législatif et aux institutions, contre leur gré et se traduit par une Assemblée nationale éclatée, sans majorité qui soit en mesure de gouverner et différents blocs, avec lesquels il a fallu composer, à défaut de pouvoir dissoudre de nouveau. Enfin, la motion de censure contre le Gouvernement Barnier, la première depuis 62 ans et la seconde de l’histoire de notre régime, est la démonstration que nos institutions fonctionnent et que, lorsqu’un Gouvernement n’a pas de majorité, il est contraint de démissionner. En l’espèce, le Premier ministre avait encore été choisi et imposé par le Président de la République, alors que ce dernier avait perdu les élections législatives, ce qu’il refusa d’admettre pendant (trop) longtemps. La censure en était l’issue logique.

Pour quoi ? Dans quel but le Président de la République a-t-il dissout l’Assemblée nationale le 9 juin 2024 ? Il indiquait souhaiter une clarification et nourrissait sans doute l’espoir que les forces politiques seraient prises de court, qu’elles ne parviendraient pas à s’unir, permettant à son bloc de se maintenir. Ici, son objectif ne fut guère atteint.

Cependant, à tirer un bilan de cette dissolution, on peut constater que tout le monde y gagne et tout le monde y perd.

Le Président de la République a perdu son pari, a vu son bloc se réduire substantiellement, en ne disposant plus de l’influence qu’il exerçait auparavant, a fortiori depuis la nomination de François Bayrou comme Premier ministre, contre le choix même du Président. Mais, une fois intégré cette perte d’influence sur le plan national, il a pu prendre la hauteur qu’impose théoriquement la fonction, se concentrer sur des sujets plus transversaux, notamment internationaux et recouvrer une forme d’influence (qui demeure certes mesurée).

La droite a implosé lors des élections et elle est revenue affaiblie au Palais Bourbon, sans véritable leadership. Mais elle y a d’abord gagné une intégration au Gouvernement, lui permettant d’entamer une recomposition, qu’elle est en passe de confirmer avec la désignation d’un nouveau Président du parti, Bruno Retailleau, qui s’affirme également comme un Ministre de l’Intérieur en mesure d’imposer ses idées, contre celles de ce qu’était autrefois le bloc majoritaire et central.

L’extrême droite s’imaginait déjà au pouvoir et les résultats des élections furent une douche froide, où elle ne termine ni première, ni deuxième, mais troisième force. Cependant, toujours plus nombreuse au Palais Bourbon, elle continue de s’inscrire dans le jeu institutionnel et s’efforce de former de futurs dirigeants. Là encore, la crise du leadership au sein du parti, entre Marine Le Pen qui, à ce jour, ne peut plus être candidate et Jordan Bardella qui souhaite s’affirmer sans s’imposer (ou l’inverse…) affaiblit le bloc, qui demeure néanmoins le favori dans les sondages.

La gauche, quoique première force du pays au lendemain des élections, n’a pas réussi à s’imposer au gouvernement, du fait des errements de certains de ses leaders et de son incapacité à se coordonner de manière constructive. Néanmoins, elle a montré sa capacité à s’unir dans l’urgence et, ce faisant, à se renforcer au sein de la représentation nationale.

Le bloc central est incontestablement le grand battu de ces élections, perdant près d’un tiers de ses effectifs. Malgré tout, un an après, il gouverne encore avec, à la tête du Gouvernement, celui qui aurait vraisemblablement dû devenir Premier ministre dès 2017, s’il n’avait pas été rattrapé par des affaires judiciaires.

La culture de la coalition est à rebours de la culture politique française

Ainsi, sous cette façade d’émiettement et de majorité introuvable, l’effet de la dissolution n’est pas si néfaste pour le fonctionnement des institutions : on se souvient qu’il existe un Parlement, composé de deux chambres, aussi incontournables l’une que l’autre, ainsi que des partis politiques qui doivent se recomposer pour convaincre les Français.

Un autre constat s’impose : l’inutilité de la proportionnelle. En effet, nous en avons connu les conséquences, sans la cause. Si elle existait dès 2024, les coalitions ne se seraient pas composées avant l’élection (tel le Nouveau Front populaire), mais après, donc sans doute à rebours du choix (d’une partie) des électeurs (tous ceux de gauche auraient-ils cautionné une alliance avec les Insoumis ?). Surtout, on voit à quel point cette culture de la coalition est à rebours de la culture politique française car, pour en former une, il faut deux conditions : que son instigateur montre qu’il a la capacité de la construire et de la conduire et que ceux qui y participent aient la volonté de s’y inscrire. Aujourd’hui, si l’instigateur est le Président de la République, l’actuel n’a jamais adopté un comportement montrant sa capacité d’écoute et d’ouverture et la fonction même, telle qu’elle est conçue au sein de la Ve République, ne s’y prête pas véritablement. Les diverses forces politiques, quant à elles, préfèrent s’inscrire dans une culture du clivage, leur permettant d’exister, que de compromis, leur imposant de cautionner les choix politiques.

Quand ? Quand aura lieu la prochaine dissolution ? Pour répondre à cette dernière interrogation, il faudrait une boule de cristal dont on ne dispose pas car, si on garde « Un œil sur la Constitution », on se refuse à « spéculer sur les institutions ». En revanche, on peut indiquer qu’elle ne peut constitutionnellement avoir lieu qu’à compter du 8 juillet, à 0 heure, comme l’impose l’article 12 de la Constitution. Ce qui veut dire qu’elle n’aura sans doute pas lieu avant la rentrée de septembre, sinon il faudrait voter au milieu de l’été.

Ajoutons que, pour dissoudre, il faut une raison : si le Président de la République est le seul à pouvoir en décider, le faire sans raison aucune serait non seulement une folie politique mais aussi une provocation démocratique. Cette raison ne peut venir que des forces politiques elles-mêmes qui, par le vote concerté d’une motion de censure ou un refus majoritaire, empêcheraient le Gouvernement de mener à bien son action, notamment le budget.

Or qui pourrait y avoir intérêt ? La leader de l’extrême droite ne pourrait pas se représenter et perdrait la tribune dont elle dispose actuellement ; le bloc central et la gauche dite « de Gouvernement » ne sont pas suffisamment recomposés pour affronter une nouvelle élection ; tous les partis doivent préparer et financer les élections municipales de mars 2026 et il n’est pas certain qu’ils aient les moyens, matériels, humains et, surtout, financiers de mener deux combats électoraux coup sur coup…

Un an après la dissolution de 2024, il faut donc retenir une leçon, qui n’est sans doute pas nouvelle : restons prudent et n’injurions pas l’avenir.

Mexique : Une élection par le peuple, mais sans le peuple

Ce billet est issu d’une mission d’Observateur international lors des élections du pouvoir judiciaire, organisées au Mexique le 1er juin 2025

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Jusqu’où doit aller la démocratie et sa mise en œuvre ?

Le plus loin possible, pourrait-on être tenté de répondre, afin de confier au peuple le maximum de pouvoir et de garantir pleinement le principe du « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».

Pourtant, la réponse n’est pas si évidente et un regard plus approfondi conduira à la nuancer.

La Présidente du Mexique, Claudia Scheinbaum, se vante d’avoir réalisé un « exercice démocratique inédit au monde », ce dimanche 1er juin : l’ensemble du pouvoir judiciaire, du juge de toute première instance jusqu’aux juges de la Cour suprême, a été désigné au cours d’un processus électoral qui, toutefois, interpelle.

Marine Le Pen et les voies de recours

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

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La peine ne doit pas faire oublier la culpabilité. Depuis le prononcé du délibéré dans l’affaire des « assistants parlementaires du Front national », par le Tribunal correctionnel de Paris le 31 mars dernier, il n’est plus question que de la peine dont a écopé Marine Le Pen. En réalité, pour être totalement précis, il n’est question que des modalités d’exécution d’une peine complémentaire, car l’exécution provisoire n’est pas, en soi, une peine mais une modalité de son application et l’inéligibilité n’est pas la peine principale, mais une peine qui vient la compléter.

Cette discussion ne doit pas faire oublier que Madame Le Pen, qui continue de clamer son innocence comme elle en a le droit, a été reconnue coupable des faits qui lui sont reprochés et condamnée à quatre ans d’emprisonnement, dont deux ans assortis du sursis. Cette lourde condamnation a été prononcée par le Tribunal correctionnel, soit par trois juges qui composent la formation de jugement, non un seul. Cela signifie que les faits reprochés sont suffisamment probants pour emporter leur conviction. Ils ont également relevé que Madame Le Pen était « au cœur de ce système depuis 2009 », c’est-à-dire qu’elle a exercé un rôle central dans le détournement de fonds publics qui a été retenu par le Tribunal.

Verdict dans l’affaire Marine Le Pen : le non de la loi

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune pour Libération

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Jugement exceptionnel, dans une affaire exceptionnelle, à l’égard d’une justiciable exceptionnelle : tout aurait pu être réuni pour que le jugement rendu par le Tribunal correctionnel de Paris ce 31 mars fasse figure d’exception. Inculpée et, désormais, condamnée, Marine Le Pen n’est pas une « justiciable comme les autres » : tout le monde ne concourt pas à l’élection présidentielle, a fortiori en se qualifiant à deux reprises pour le second tour et en étant placé en tête des sondages de la prochaine échéance.

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