entete

Feuilleton budgétaire : un 49, 3 sinon rien

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 2 décembre

*

Le « feuilleton budgétaire » 2025, comme celui de 2024, ne laisse pas d’interroger le droit parlementaire avec une question lancinante : disposerons-nous d’un budget, le 31 décembre ? La réponse à cette question est relativement simple, sans besoin d’être devin : assurément oui. En revanche, si elle devait être complétée par « de quel budget disposerons-nous ? » ou « comment le budget sera-t-il adopté ? », alors la réponse serait beaucoup plus incertaine.

En effet, notre Constitution offre les outils suffisants pour garantir qu’un budget sera adopté avant l’échéance de la fin de l’année, permettant de préserver le fonctionnement de l’État. En d’autres termes, la France ne connaîtra pas de shut down. Nous l’avons déjà expérimenté l’an dernier lorsque le Gouvernement de Michel Barnier a fait l’objet d’une motion de censure le 4 décembre, conduisant à l’adoption d’une « loi spéciale », comme le permet l’article 45 de la LOLF (la loi organique relative aux lois de finances, prévues par la Constitution et qui précise notamment la procédure applicable).

« Renoncer à renoncer » au 49, 3 est indispensable pour que les attentes de ceux-là même qui avaient demandé d’y renoncer soient satisfaites

Cette année, cette hypothèse n’est toujours pas à exclure car, en l’état, l’adoption des lois de finances et de financement de la sécurité sociale, en discussion au Parlement, est loin d’être acquise. Elle l’est d’autant moins que le Premier ministre s’est engagé à ne pas recourir à l’article 49, al. 3 de la Constitution, qui permettrait que ces lois soient adoptées sans qu’une majorité ne se prononce effectivement en leur faveur. Il faudrait alors qu’aucune majorité absolue des députés (288, car deux sièges sont actuellement vacants) ne se prononce pour la censure du Gouvernement. Or cette condition peut plus facilement être remplie que l’existence d’une majorité en faveur du texte. En effet, comme on l’a déjà relevé, les députés vraisemblablement hostiles au budget et qui voteront contre sont 265, tandis que ceux qui sont potentiellement favorables et pourraient voter pour sont 232 au maximum.

Les socialistes ont globalement fait le pari de l’abstention jusqu’à présent, dans le cadre de leurs négociations avec le Gouvernement et il paraît difficile, voire impossible qu’ils votent pour (ce qui sécuriserait néanmoins l’adoption des textes). S’ils l’ont fait sur la première partie de la loi de financement de la sécurité sociale, en première lecture, c’était afin de permettre qu’un débat parlementaire ait lieu sur la suspension de la réforme des retraites, ce qu’ils ont effectivement obtenu. Désormais, voter pour l’ensemble des deux textes financiers reviendraient à les associer à une majorité soutenant le Gouvernement Lecornu, auquel ils ont toujours affirmé leur opposition, quoique constructive. Dans cette démarche, s’ils ne peuvent accepter de voter pour le budget, ils peuvent se résigner à s’abstenir lors d’une motion de censure, comme ils le firent le 16 octobre, après la nomination du Gouvernement.

Ce sont pourtant eux-mêmes qui se trouvent à l’origine de ce renoncement, puisqu’ils en ont fait une condition de leur participation aux négociations. Ils sont donc désormais face à un dilemme : persévérer à renoncer à ce mécanisme constitutionnel et vraisemblablement s’exposer à un rejet du budget, donc de toutes leurs autres revendications, ou inviter le Gouvernement à y recourir, au prétexte que les avancées obtenues ne peuvent être adoptées que de cette façon.

En effet, les autres leviers permettant d’adopter un budget avant le 31 décembre feront fi de tous les débats parlementaires et des amendements votés à l’Assemblée nationale. D’une part, la « loi spéciale » ne contient aucune mesure budgétaire et autorise simplement à continuer de percevoir l’impôt. Elle est une simple prorogation de l’application de la loi pour 2025, au-delà du 31 décembre. D’autre part, il y a une incertitude quant au contenu possible des ordonnances prévues par les articles 47 et 47-1 de la Constitution, dans l’hypothèse où le Parlement ne s’est pas prononcé dans le délai imparti.

Il n’existe aucun précédent, donc on ne peut pas se reporter à une pratique antérieure pour nous éclairer. Le texte même de la Constitution et de la loi organique (article 40) semble cependant indiquer que l’ordonnance ne peut pas intégrer des amendements adoptés au cours du débat parlementaire. D’abord, l’article 47 de la Constitution évoque « les dispositions du projet », sans préciser que des amendements pourraient être intégrés, comme le fait, par exemple, son article 45.

Ensuite, la LOLF donne des indications supplémentaires : son article 40, al. 6 dispose que, « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans le délai de soixante-dix jours après le dépôt du projet, les dispositions de ce dernier peuvent être mises en vigueur par ordonnance ». La formule paraît faire clairement référence au projet tel qu’initialement déposé, d’autant plus que le troisième alinéa de ce même article indique la possibilité, lorsque le Gouvernement transmet automatiquement le texte au Sénat après quarante jours d’examen à l’Assemblée nationale, d’y intégrer « les amendements votés par l'Assemblée nationale et acceptés par lui ».

Enfin, un précédent vient confirmer cette analyse. Si l’ordonnance pouvait reprendre le projet amendé, le Premier ministre n’aurait pas eu besoin d’adresser une lettre rectificative au PLFSS pour y intégrer la suspension de la réforme des retraites : il l’a fait pour que le projet initial, s’il devait être mis en œuvre par ordonnance, puisse intégrer cet engagement du Gouvernement.

En définitive, « renoncer à renoncer » à l’article 49, al. 3 paraît indispensable pour que les attentes de ceux-là même qui avaient demandé d’y renoncer soient satisfaites. Cette dernière revendication avait un objectif : éviter que le Gouvernement ne passe en force, garantir qu’il respecte le Parlement et s’assurer qu’il n’imposera pas un texte, comme il le peut avec l’activation du 49, al. 3. Tout observateur peut aujourd’hui constater que tel fut le cas et que, jusqu’à présent, le Gouvernement s’est montré non seulement respectueux du Parlement, mais aussi de ses engagements. L’article 49, al. 3 ne serait alors que la validation et l’aboutissement d’un long cheminement, qui aura laissé place à une importante négociation et à des compromis auxquels la vie politique française est peu habituée. Mais qui rendront sans doute à cet article ses lettres de noblesse.

La dissolution s’éloigne

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 14 novembre

*

L’hypothèse d’une dissolution prochaine de l’Assemblée nationale paraît désormais s’éloigner, pour plusieurs raisons qui mêlent rigueur juridique et sens politique.

Rappelons néanmoins au préalable que le droit de dissolution n’est contraint que par un formalisme minimal et peut ainsi être usé de façon quasi discrétionnaire par le Président de la République. Seules s’imposent à lui l’obligation de consulter certaines autorités (Premier ministre et présidents des deux assemblées), dont on a vu, en 2024, qu’elle n’était encadrée d’absolument aucune forme, ainsi que l’interdiction de prononcer une nouvelle dissolution dans l’année qui suit les élections législatives consécutives à une première. Ainsi, depuis le 8 juillet 2025 à 0 heure, Emmanuel Macron peut dissoudre l’Assemblée nationale à tout instant.

Budget 2026 : « En ayant fait du renoncement au 49.3 une condition de leur accord de non-censure, les socialistes se sont en réalité piégés eux-mêmes »

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans Le Monde, le 29 octobre

*

Après la démission de François Bayrou, le 8 septembre, le Président de la République a fait le choix de nommer Sébastien Lecornu, Premier ministre en lui confiant la mission de « consulter les forces politiques en vue d’adopter un budget et bâtir les accords indispensables aux décisions des prochains mois ». Après plusieurs semaines de négociations et quelques rebondissements, dont la nomination d’un premier Gouvernement Lecornu qui ne vécut que quatorze heures, une forme d’accord de non censure semble avoir été conclu entre les forces du « socle commun » (Renaissance, MoDem, Horizons et Les Républicains) et le Parti socialiste.

Ce dernier avait posé deux conditions fondamentales à un tel accord : l’abandon de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution et la suspension de la réforme des retraites. Il a obtenu gain de cause sur ces deux points, avec un engagement solennel de la part du Premier ministre. Cependant, rien ne garantit, d’une part, que la suspension de cette réforme soit effectivement adoptée par le Parlement, car le vote revient aux députés et aux sénateurs, qui peuvent majoritairement se prononcer contre. D’autre part, sans activation de l’article 49, alinéa 3, l’adoption même d’un budget paraît fortement compromise.

Le prix à payer pour sauver la Ve République

Ce billet est initialement paru sous forme de Tribune dans Libération, le 9 octobre

*

Les vingt-quatre heures écoulées entre l’annonce de la composition du Gouvernement Lecornu, dimanche soir, et sa désignation comme « responsable » (il n’a pas été formellement reconduit) chargé de mener « d’ultimes négociations », par le Président de la République, lundi soir, comptent sans doute parmi les plus rocambolesques de toute l’histoire de la Ve République. Nous aurons successivement assisté à la nomination d’un Gouvernement quasi-identique au précédent (qui s’était vu priver de la confiance par l’Assemblée nationale), à l’annonce du chef des Républicains, par ailleurs Ministre de l’Intérieur, que la présence de son parti au sein du Gouvernement n’était plus garantie, à la quasi-annonce des mêmes Républicains de leur départ du Gouvernement, pris de court par la démission du Premier ministre… qui se retrouve finalement lundi à devoir mener ces ultimes négociations.

Ce Vaudeville gouvernemental confirme qu’après la démission constitutionnellement contrainte de François Bayrou, la seule solution est la dissolution… alors même que la dissolution n’est pas une solution.

S’abonner à la lettre d’information
logo blanc