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Du respect pour le Parlement !

Rares auront été les périodes où la Constitution a été à ce point évoquée dans le débat public. Après s’être rappelés qu’il existait un article 49, al. 3, les Français ont découvert qu’il y avait aussi un article 47-1, puis un 44, al. 3, un « RIP » de l’article 11 et, aujourd’hui, un article 40.

Une telle appropriation de la Constitution par les citoyens serait saine et bienvenue, si elle ne venait souligner l’ampleur des excès commis dans le respect de cette norme. Car, après confirmation du Conseil constitutionnel que la loi de réforme des retraites a été adoptée conformément à la Constitution, l’épisode de la semaine dernière, lors de l’examen en commission de la proposition de loi déposée par le groupe LIOT et destinée à abroger cette réforme, est de nouveau respectueux de la lettre de la Constitution et du Règlement de l’Assemblée nationale. De même, si, jeudi, la Présidente de l’Assemblée nationale oppose l’article 40 de la Constitution à un amendement d’un parlementaire rétablissant l’article 1er de la proposition de loi, supprimé en commission, la Constitution ne sera pas davantage malmenée.

 

En accumulant les outils constitutionnels pour contraindre le Parlement, on en vient à nourrir les thèses antiparlementaristes 

Comment ne peut-on pas se rendre compte qu’en refusant ainsi tout débat, qu’en accumulant, sans discernement, les outils constitutionnels pour contraindre le Parlement, on en vient à nourrir les thèses antiparlementaristes et à entretenir la méfiance vis-à-vis des institutions ?

Qu’on ne se méprenne pas : il ne s’agit pas, ici, de soutenir une position pour ou contre la réforme des retraites ou d’appeler à son abrogation. Ce n’est nullement le propos. Il s’agit en revanche d’appeler à respecter davantage l’institution qui représente les citoyens : le Parlement.

Ainsi, offrir un droit à l’opposition en lui permettant d’inscrire un de ses textes à l’ordre du jour tout en permettant à la majorité de le dénaturer totalement est pour le moins incongru. Là encore, qu’on ne se méprenne : l’opposition est, par définition, minoritaire et elle ne saurait détenir un droit de faire adopter « ses » lois. Mais au moins celui de débattre des textes qu’on lui permet d’inscrire.

La Constitution de la Ve République a apporté à notre État la stabilité dont il avait besoin, notamment grâce à des mécanismes puissants de rationalisation du parlementarisme. Ils ont montré leur efficacité tout au long des soixante-cinq ans de notre régime et méritent d’être préservés. Toutefois, de nouveaux leviers doivent être offerts au Parlement, pour préserver son rôle et son action et introduire, au-delà de la stabilité, davantage d’équilibre.

C’est ce à quoi nous réfléchissons depuis cinq mois, avec une quarantaine de collègues, au sein du GRÉCI, le Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions. Depuis le mois de janvier, nous avons mené près d’une quinzaine de réunions et étudié les voies d’évolution possibles de nos institutions, en nous concentrant d’abord sur l’Exécutif, sur le Législatif et sur les rapports qu’ils nourrissent entre eux, avant d’aborder les questions liées à la souveraineté. D’ici à la fin du mois de juillet, nous poursuivrons nos échanges et nos réflexions sur les droits et leur garantie, sur les collectivités territoriales et sur le droit international et le droit européen.

Parallèlement, nous conduisons de nombreux entretiens avec des personnalités qui exercent ou qui ont exercé des fonctions institutionnelles éminentes : Présidents de la République, Premiers ministres, Présidents des assemblées, Présidents du Conseil constitutionnel, Présidents des groupes parlementaires et dirigeants des partis politiques. Tous, à l’exception de quelques-uns qui ne tarderont certainement pas à nous répondre, nous réservent le meilleur accueil, confirmant l’intérêt et l’importance du débat sur les sujets constitutionnels et démocratiques.

Parmi les propositions que le groupe a pu examiner jusqu’à présent, certaines sont assez consensuelles, tandis que d’autres sont plus clivantes.

Le clivage le plus fondamental s’articule autour des partisans, d’une part, d’une évolution de la Ve République vers un régime primo-ministériel, après suppression de l’élection directe du Président de la République et instauration d’une investiture formelle du Premier ministre par l’Assemblée nationale et, d’autre part, du maintien du présidentialisme du régime, avec renforcement des prérogatives parlementaires ou encadrement de celles de l’Exécutif, notamment en matière législative.

En revanche, les propositions conduisant à une meilleure préservation des droits du Parlement et de la qualité des débats législatifs rencontrent globalement un écho consensuel. Tel est le cas d’une restriction du recours à la procédure accélérée et d’un renforcement du respect des délais législatifs, qu’il s’agisse du temps laissé aux commissions pour l’examen du texte en première lecture ou du terme pour le dépôt des amendements qui doit s’appliquer à tous, sans exception, y compris aux membres du Gouvernement. De même, afin d’en renforcer les effets, la mise à jour des études d’impact au fil de la navette est proposée et, une fois que la loi est promulguée, un délai maximal est imposé au Gouvernement pour adopter les mesures d’application, sous le contrôle du Parlement. En matière de mise en œuvre de la responsabilité du Gouvernement, le Groupe s’accorde autour de la mise en place d’une responsabilité politique individuelle des membres du Gouvernement ou la création d’une séance de questions spécialement dédiée aux enjeux européens.

Les questions électorales sont plus clivantes, qu’il s’agisse de l’introduction de la proportionnelle pour l’élection des députés ou de la durée du mandat présidentiel (maintien en l’état, allongement à six ans, voire retour au septennat) et de l’organisation du calendrier électoral (maintien en l’état, inversion ou organisation des élections présidentielle et législatives le même jour). Toutefois, le Groupe s’accorde pour faire évoluer le mode de désignation des sénateurs, afin de renforcer la légitimité du Sénat en lui permettant de connaître l’alternance. La proposition qui a déjà pu être présentée sur La Constitution décodée a ainsi rencontré un accueil consensuel.

Enfin, le Groupe est partisan d’un renforcement de l’expression citoyenne, mais divisé sur ses modalités de mise en œuvre. Certains en appellent à davantage de référendum et à des instances citoyennes tirées au sort travaillant étroitement avec les institutions élues. D’autres préconisent au contraire de limiter le recours au référendum, car il ne permet pas le débat parlementaire, mais invitent à davantage d’initiative, de pétitions ou de motions référendaires, permettant aux citoyens de demander à ce que le Parlement se saisisse d’un sujet ou qu’un sujet dont ce dernier s’est saisi leur soit soumis à ratification, in fine.

Ce ne sont là que quelques premières propositions. Elles ont été débattues mais aucune n’a été formellement adoptée par le Groupe. En effet, afin de préserver la réflexion d’ensemble, à l’issue des débats sur chacun des sujets, une séance d’examen et de vote sera organisée, devant permettre d’exprimer des choix pondérés et conditionnés : chaque membre pourra soutenir plus ou moins intensément telle ou telle proposition et apporter son soutien à l’une à condition qu’une autre soit également adoptée.

Le Groupe reste ainsi animé d’une certitude unanime : le débat sur la Constitution est indispensable, il doit être, sincère, éclairant et, surtout, serein et digne, à l’instar du respect que nous devons tous aux institutions, des élus qui les composent aux citoyens qui les désignent.

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Les travaux du GRECI visent-ils en priorité à répondre au dysfonctionnement majeur et récent de notre système bi-représentatif?
Celui-ci s’est construit sur la nécessité d'un alignement politique entre deux autorités élues disjointement (le...

Les travaux du GRECI visent-ils en priorité à répondre au dysfonctionnement majeur et récent de notre système bi-représentatif?
Celui-ci s’est construit sur la nécessité d'un alignement politique entre deux autorités élues disjointement (le président et l’Assemblée) et surtout sur la base d’une fausse croyance en un mystique fait majoritaire qui, pensait-on, réduisait à néant le risque de divergence politique entre ces deux autorités. L'événement politique et institutionnel de juin 2022, qui est une véritable avanie pour tous ceux qui avaient fait du fait majoritaire leur religion, exige d’adapter en urgence et en profondeur notre système à la divergence (durable) de majorités et à la fragmentation parlementaire, afin de stopper les conséquences désastreuses dont souffre la France depuis sa survenue : la discorde et l'inefficacité.

Face à ce défi, l'idée du “maintien du présidentialisme du régime, avec renforcement des prérogatives parlementaires ou encadrement de celles de l’Exécutif” comme indiqué dans la note, propose donc de faire persister la bi-représentation politique mais de rendre les “divergences de majorités” moins gênantes, grâce à une séparation plus stricte des pouvoirs. Je crois reconnaître ici le (mal nommé) régime présidentiel qui séduit notamment François Hollande.
Aller vers ce type de régime aurait l’avantage d’aplanir les relations entre autorités et donc de calmer la discorde actuelle, mais ne résoudra pas le problème de l’inefficacité. Car en conservant la bi-représentation politique, on fait perdurer le risque d’incongruence avec une dissociation d’agendas (entre exécutif et législatif) et on se prive donc d’une politique générale unique, fiable, cohérente et lisible pour le pays..
Errare humanum est, perseverare diabolicum.

Les propositions “primo-ministérielles” et de modifications du calendrier électoral semblent appartenir, en miroir, au modèle parlementaire moniste, avec un président dépolitisé. Mais pourquoi le GRECI propose-t-il dans ce cas de supprimer l’élection au SU alors qu’une telle mesure, improbable, n’est pas nécessaire (ni suffisante d’ailleurs) pour déprésidentialiser (7 pays en Europe l'attestent)?

Clivage “fondamental” donc entre ces deux approches, et même débat multiséculaire… qu’un critère structurant pourrait toutefois permettre de trancher (temporairement) : car n’est-ce pas précisément dans cette période agitée, fragmentée et caractérisée par une impatience démocratique que le principe d'un chef d’Etat au-dessus de la mêlée, qui cimente la nation, s'assure de la sincérité des débats, du respect de la Constitution et de la participation du peuple et des corps intermédiaires aux décisions trouve toute sa place? Et le régime parlementaire moniste n’est-il pas le seul modèle nous permettant de bénéficier d’une telle figure surplombante, dont bénéficient déjà nombre de nos voisins mais dont nous sommes outrageusement privés, alors qu’on nous l’avait pourtant promis en 1958?

Au final, il est rassurant que le statu quo ne fasse pas partie des propositions du GRECI, mais l’absence de solution consensuelle pour nous extirper (par le haut si possible) des affres du présidentialisme minoritaire actuel est particulièrement angoissante.
Notre pays est-il condamné à organiser des coups de poker institutionnels perdants tous les 5 ans? La pente glissante sur laquelle nous nous trouvons n'exige-t-elle pas, pour une fois, que les constitutionnalistes s'accordent sur une proposition unique, restreinte et d'ampleur systémique?

Au fond, le problème français peut se résumer ainsi : la Constitution pose des équilibres (parlementaires par défaut) tout en autorisant le président à les rompre et à choisir seul le type de régime (selon qu’il concède à se mettre en retrait, qu'il décide de gouverner avec ou contre l’Assemblée ou même d’activer les pleins pouvoirs). La présidence de la République est une entité méta-institutionnelle qui a été graduellement et candidement renforcée jusqu'à atteindre une altitude proche de sa mise en orbite, avec les risques que cela comporte pour la démocratie, surtout en cas d'élection d’un président populiste. Tout renforcement des attributions de telle ou telle autorité est vain tant que cette faille fondamentale n’aura pas été corrigée, tant que les pouvoirs vassalisateurs du président (art. 8, 12 et 16 notamment) n’auront pas été sérieusement conditionnés ou limités, afin de redonner au Parlement et au gouvernement la pleine jouissance de leurs pouvoirs pivots (art. 20, censure, vote de confiance, proposition de révision…).
Il est toujours plaisant d’imaginer de nouvelles dispositions, mais pourquoi ne pas d'abord tenter d'appliquer l'équilibre que décrit (très clairement) notre Constitution, dans son esprit comme dans son texte?

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