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Corser la Constitution

Inscrire la « Corse » dans la Constitution est l’une des revendications des autonomistes de l’île, victorieux lors des élections des 3 et 10 décembre 2017. Légitime, justifiée tant politiquement que juridiquement comme le souligne un récent rapport rédigé par une éminente collègue, une telle inscription n’est pas pour autant sans risque. Il serait donc bon de constitutionnaliser son statut, en veillant à ne pas le faire n’importe comment.

Nier les revendications autonomistes n’est pas seulement absurde : c’est démocratiquement infamant et politiquement dangereux

Le vent d’indépendantisme qui souffle en Europe n’épargne pas la France, même si les attentes des responsables politiques corses ne sont pas comparables à celles de leurs homologues catalans. À ce jour, du moins.

La large victoire de la liste « Pè a Corsica » avec 56,49% des voix, remportant 41 des 63 sièges de l’Assemblée, souligne le désir des électeurs de renforcer l’autonomie de cette collectivité territoriale. Nier ces revendications autonomistes n’est pas seulement absurde : c’est démocratiquement infamant et politiquement dangereux.

Elle dispose déjà d’un statut particulier, depuis 1991, constitutionnalisé en 2003. Cela n’interdit pas d’aller plus loin, car la République française reconnaît, parmi les collectivités territoriales qui la composent, de multiples statuts, parfois au degré d’autonomie élevé. Les départements et régions d’outre-mer ou, surtout, les collectivités d’outre-mer bénéficient de compétences spécifiques, sans parler de la Nouvelle-Calédonie, dont la situation est « transitoire » et dans l’attente de l’issue du référendum qui devrait être organisé cette année.

Il ne s’agit pas de revenir sur l’indivisibilité de la République, mais de déterminer ce qu’il en reste

Cela ne remet en cause ni l’unité ni l’indivisibilité de la République. Contrairement à ce qui peut être parfois soutenu, la Constitution et, en particulier, son article 1er ne dispose pas que « la République est une et indivisible ». Tel était le cas jusqu’en 1848, mais désormais, la République est « indivisible » et « son organisation est décentralisée ».

Cette indivisibilité demeure un principe fondamental de l’État qui ne s’est jamais opposé à la reconnaissance de spécificités territoriales ni au renforcement de compétences des collectivités territoriales ou, seulement, de certaines d’entre elles.

Il ne s’agit donc pas de savoir si l’on peut revenir sur l’indivisibilité de la République, mais de déterminer ce qu’il en reste.

La Corse bénéficie incontestablement d’une singularité due à son insularité, à son histoire, à sa culture. Tout cela justifie qu’elle soit reconnue, en tant que telle, dans la Constitution.
Cette seule reconnaissance ne devrait pas permettre, toutefois, de reconnaître la langue corse comme langue officielle de l’île, avec le français. Si, depuis 2008, « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France », la République n’a qu’une seule langue : le français.

Néanmoins, cette mention de la Corse ne serait pas purement symbolique car elle pourrait permettre de renforcer les compétences de la collectivité, notamment en matière législative. Son statut se rapprocherait alors de celui des départements et régions d’outre-mer, voire des collectivités d’outre-mer.

Pour autant, il faut politiquement prendre garde à trois conséquences possibles.

D’abord, les adaptations législatives dont peut bénéficier l’outre-mer se justifient par son éloignement de la métropole et par son isolement insulaire, lesquels engendrent parfois des inégalités qu’il convient ainsi de corriger. Si la Corse est dans une situation comparable, elle n’est pas dans une situation identique. Éloignée du continent, elle demeure géographiquement européenne. Bénéficiant déjà de nombreux privilèges, notamment fiscaux, il ne faudrait pas qu’ils soient renforcés au point de créer de véritables discriminations.
Ensuite, une telle évolution constitutionnelle risque de susciter des envies et des envieux… D’autres régions pourraient alors revendiquer une reconnaissance constitutionnelle, entraînant le Gouvernement dans une spirale qu’il lui faudra contrôler avec toute la diplomatie nécessaire.

Enfin, si reconnaître constitutionnellement la Corse participe d’un renforcement de son autonomie, cela revient, parallèlement et paradoxalement, à la limiter. Car, dès lors qu’elle apparaîtrait dans la Constitution, elle ne pourrait en sortir qu’avec une révision constitutionnelle…

Et si le désir d’autonomie d’aujourd’hui devait se transformer demain en volonté d’indépendance, la réalisation de cette dernière n’en serait que plus contrainte, pour ne pas dire « corsée ». Mais peut-être est-ce là l’une des attentes des autonomistes et du Gouvernement : renforcer l’autonomie de la Corse en scellant son appartenance à la République.

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