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Des affaires de famille

Une nouvelle fois, un responsable politique a été « épinglé » par la presse pour ce qui pourrait constituer, à première vue, un conflit d’intérêts.

Ni juge ni avocat ni procureur ni enquêteur ni journaliste ni quoi que ce soit qui conduirait à fouiller n’importe quoi dans les affaires de n’importe qui, La Constitution décodée n’entend nullement s’aventurer sur le terrain de la véracité, l’opacité ou encore la fausseté des faits.

On sait que Le Canard enchaîné est un excellent journal, comme il en existe d’autres et qu’il fait un formidable travail d’investigation. Il ne contrôle cependant pas ou peu les réactions de l’opinion publique et des autres responsables politiques, d’abord quant à « l’affaire » proprement dite, ensuite quant aux suites juridiques et politiques qu’il convient de lui donner.

Là encore, ici n’est pas le lieu, du moins à ce stade, de tergiverser sur le premier aspect. On soulignera simplement qu’il y a toujours plusieurs façons de présenter une information, que les journalistes le savent et que cette présentation influe naturellement sur la perception du lecteur.


En revanche, on s’attardera sur le second aspect : les suites juridiques et politiques (que l’on distingue, évidemment, des suites juridictionnelles sur lesquelles on ne pourra s’épancher, le cas échéant, que lorsqu’elles seront connues) qui seront données aux diverses « affaires » qui ont agité la sphère politique ces dernières semaines, de François Fillon à Richard Ferrand, en passant par Bruno Le Roux. En se concentrant, bien sûr, sur la délicate question des « emplois familiaux ».

Car la volonté de renforcer la moralisation de la vie publique ne saurait être contestée. On ne peut qu’y être favorable, à moins de vouloir maintenir un système où des individus peuvent tirer un bénéfice personnel de moyens destinés à servir l’intérêt de tous.

D’ailleurs il n’est pas anodin que le Gouvernement souhaite commencer par cette réforme. D’abord, cela répond à une attente très claire des Français. Ensuite, cela montre sa propre rigueur et sa probité, en plus de satisfaire une première promesse de campagne. Enfin et surtout, cela permet de souder une majorité (certes de moins en moins incertaine) sur un sujet essentiel, porté par un Ministre essentiel, au soutien politique essentiel.

Mais il faut toutefois savoir raison garder.

Si le nouveau Président de la République souhaite effectivement rompre avec les habitudes récentes et en revenir aux fondamentaux de la Vème République, ce que l’on ne peut que saluer, la nouvelle majorité, conduite par le Premier ministre, serait bien inspirée de ne pas céder à la boulimie législative, grand fléau du XXIème siècle ! Ne poursuivons pas dans cette voie insensée consistant à s’inspirer du Journal de 20h pour élaborer des projets de loi, comme le dénonçait déjà Guy Carcassonne.

Ainsi, avant de légiférer sur la question des emplois familiaux, encore faut-il se poser des questions simples mais indispensables. Est-ce judicieux ? Est-ce seulement faisable ?

Il ne s’agit pas d’y répondre mais de soulever les difficultés auxquelles il faudra faire face.

En premier lieu, les emplois de collaborateurs parlementaires sont des contrats de droit privé. Certes, la rémunération se fait sur fonds publics ce qui peut conduire au détournement de ces derniers et justifier un contrôle de leur emploi, mais il ne saurait être reproché le moindre « favoritisme » au sens pénal. Le « délit de favoritisme » à proprement parler (qui vise en réalité le délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession prévu par l’article 432-14 du code pénal) concerne principalement les marchés publics, qui répondent à une autre logique. De surcroît, ne s’agissant pas d’un recrutement par concours administratif, l’emploi ne doit pas forcément revenir au meilleur candidat, mais à celui qui satisfait le mieux les attentes du recruteur.

En deuxième lieu, il ne s’agirait de légiférer qu’à l’égard de ces emplois spécifiques et non de tout emploi offert à un proche ou un membre de la famille, tout corps de métier confondu. Et on ne pourrait d’ailleurs pas en compter le nombre, de l’entreprise familiale aux grands groupes tenus par une même famille. Si les premiers relèvent d’une catégorie spécifique d’emplois privés permettant de leurs appliquer des règles spécifiques (qui existent déjà), notamment en lien avec un objectif d’intérêt général, cela n’empêche pas de se demander s’il n’y a pas aussi de bonnes raisons d’employer un proche, même en politique.

Car, en troisième lieu, le problème n’est pas tant celui de la personne employée que de la réalité du travail qu’elle effectue ou de l’enrichissement personnel de l’employeur. Autant d’éléments auxquels on peut facilement remédier, sans besoin d’interdire les emplois familiaux.

De la publication de la liste des collaborateurs (déjà effective) à la déclaration des liens éventuels, du renforcement du contrôle sur la réalité du travail effectué en cas d’emploi confié à un proche à l’abaissement du plafond de rémunération ou à l’interdiction du versement du salaire sur un compte joint, les possibilités sont nombreuses.

En quatrième lieu, cela impose de s’interroger sur l’étendue de l’interdiction. Si les liens résultant d’un mariage, d’un PACS ou d’une filiation sont aisément vérifiables, qu’en est-il des unions libres, des enfants, des pères et des mères spirituels, de ceux qui tombent amoureux de leur collaborateur ou de leur collaboratrice – sauf à créer un licenciement pour cause d’attirance mutuelle – ou encore des « ex » ? Au-delà, se posent les questions des grands-parents, des petits-enfants, des oncles et tantes, des neveux et nièces, des cousins, cousines au premier, deuxième, troisième ou quatre-vingt-quinzième degré. Sans compter la question du meilleur ami, dont on est parfois plus proche que de sa propre famille…

Tout cela confirme que les affaires de famille sont toujours délicates à régler… surtout si elles ne doivent pas l’être en famille, mais bien au grand jour.

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