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Et si le Conseil constitutionnel devait disparaître le temps d’une QPC ?

Tribune publiée sur Lemonde.fr le 11 mars 2011, avec Julien Thomas, Maître de conférences à l’Université de Rouen.

L’hypothèse ne méritait que l’attention réservée habituellement aux cas d’école. Puis le procès Chirac est venu, tel un séduisant événement médiatique potentiellement dévastateur. Et le cas d’école devient un cas pratique.

Une question prioritaire de constitutionnalité a été renvoyée par le Tribunal correctionnel de Paris à la Cour de cassation. Subtilité technique ou manœuvre dilatoire, elle suscite surtout l’intérêt des rebondissements procéduraux et le rejet que peut inspirer un grain de sable, qui repousse le moment tant attendu où un ancien chef de l’État, dans la lignée spectaculaire de Louis XVI et Philippe Pétain, doit comparaître devant des juges. Comment une tragédie pourrait-elle débuter par un deus ex machina ?


Que l’on se rassure, l’appétence ainsi contrariée pourrait trouver quelque apaisement. La question de constitutionnalité amorce une procédure qui attire d’abord les regards sur la Cour de cassation. Mais au-delà, une saisine du Conseil constitutionnel est, selon les points de vue, impensable, attendue ou redoutée. Or, dans les circonstances de l’affaire, une interrogation s’impose : serait-il en mesure de se prononcer ?

Le président de l’institution, Jean-Louis Debré, dont un frère est directement concerné par le dossier, a d’ores et déjà annoncé qu’il se déporterait si la question prioritaire de constitutionnalité était transmise par la Cour de cassation. Cela tombe sous le sens. On pourrait aussi invoquer sa grande proximité avec Jacques Chirac, qui l’a d’ailleurs nommé à la tête du Conseil constitutionnel. Ce serait dès lors le doyen d’âge qui pourrait le remplacer. Bien qu’il n’ait jamais assisté à une séance d’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, c’est ainsi Valéry Giscard d’Estaing qui devrait intervenir. Mais, ainsi que le permet le règlement intérieur de l’institution, une partie n’aurait-elle pas intérêt à récuser celui-ci, dont Jacques Chirac fut le premier ministre, particulièrement au regard des rapports notoirement exécrables qui demeurent entre les deux hommes ? À l’inverse, un membre nommé par le Président Chirac après une proximité à la Ville de Paris et au sein de l’Exécutif, ou un autre, ayant appartenu à son comité de campagne électorale en 2002, ne pourraient-ils pas, en raison de probables sympathies, être également récusés, à moins qu’ils ne se déportent d’eux-mêmes ?

Toute révérence gardée pour les membres du Conseil constitutionnel, dont les qualités professionnelles sont reconnues, cette liste pourrait certainement être étoffée. Sans même se livrer à un examen systématique du parcours des différents conseillers, ceux-ci n’ont-ils pas tout simplement en commun avec Jacques Chirac d’appartenir à la même institution et de siéger régulièrement autour de la même table ? Une telle proximité ne pourrait-elle justifier l’hypothèse d’une récusation de l’ensemble des membres du Conseil en raison du manque d’impartialité et d’indépendance qu’ils doivent systématiquement garantir ?

Au-delà de cette question, un peu absurde, il faut en convenir, deux difficultés se présentent. D’une part, un quorum de sept membres s’impose : dans les conditions décrites, cet effectif ne saurait être atteint si, sur les onze membres actuels, plus de quatre devaient s’abstenir ou être récusés. Dans une telle hypothèse, rien n’est prévu, si ce n’est la possibilité d’écarter ce quorum, au titre de la force majeure. Mais s’agit-il véritablement d’une force majeure ? Sans compter que la légitimité d’un collège ainsi amputé s’en trouverait fortement affectée. La solution utilisée par toutes les juridictions américaines ne serait pas moins problématique : elle imposerait une réunion plénière, ce qui conduirait notamment Jean-Louis Debré et Jacques Chirac lui-même à siéger.

Tout moyen retenu n’en trahirait pas moins un défaut génétique du Conseil, d’autre part : le mode de nomination de ses membres. C’est là un mal chronique, les faits en cause n’en sont qu’un des révélateurs. D’abord, on ne cesse de rappeler les méfaits engendrés par l’appartenance de droit à l’institution des anciens Présidents de la République. Hélas, le futur prétendant au bénéfice de cette disposition constitutionnelle a refusé, en 2008, qu’elle soit remise en cause. Ensuite et plus généralement, le système de nominations des membres du Conseil constitutionnel soulève régulièrement la critique. Entre les mains du Président de la République et des Présidents des assemblées, il peut toujours être utilisé à leur avantage. Pourtant, depuis 1959, de nombreuses personnalités de grande qualité ont pu accéder par cette voie au Conseil constitutionnel et même contribuer à son prestige. D’autres procédures pourraient être encore envisagées : nominations davantage encadrées, élection, etc.

Mais tout cela n’apporterait rien tant que le rapport de certains hauts responsables à la chose publique demeure inspiré par l’idée que le but essentiel de l’exercice du pouvoir est de s’y maintenir.

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