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Troisième tour

Il y aura bien un troisième tour législatif à cette élection présidentielle, comme on l’évoquait d’ailleurs dès le lendemain du premier tour. C’est de là que pourrait provenir la surprise qu’on retrouve à chaque élection présidentielle.

En effet, depuis plus de quarante ans, des élections législatives ont généralement lieu dans la foulée du scrutin présidentiel, sauf en 1995. Et, depuis plus de quarante ans, elles ont toujours confirmé le pouvoir du Président de la République élu, en lui confiant une majorité pour gouverner, fût-elle relative comme en 1988.

Jamais les électeurs n’ont fait le choix d’une cohabitation, alors qu’ils auraient pu y céder au moins à deux reprises, en 2002 et en 2017, lorsque la majorité des électeurs du premier tour de l’élection présidentielle se voyaient contraints de voter au second pour un candidat à rebours de leur sensibilité (la majorité est à gauche en 2002 mais Jacques Chirac est élu, la majorité est à droite en 2017 mais Emmanuel Macron est élu, à l’époque – encore – candidat issu de la gauche).

La France serait fracturée, mais elle est surtout éclatée


Il en sera sans doute de même cette fois-ci et le pari lancé par Jean-Luc Mélenchon paraît vain, pour au moins deux raisons.

D’une part, n’en déplaise à l’impétrant, la majorité des électeurs d’aujourd’hui se situent plutôt à droite qu’à gauche. Si l’on excepte Emmanuel Macron, dont on sait qu’il séduit lui aussi davantage un électorat de centre droit que de centre gauche et que l’on étale le calcul de l’extrême droite à l’extrême gauche, on obtient, en scores cumulés, 40% pour la droite (Le Pen, Zemmour, Pécresse, Lassalle, Dupont-Aignan) et 32% pour la gauche (Mélenchon, Jadot, Roussel, Hidalgo, Arthaud, Poutou).

La seule façon de l’emporter, pour Mélenchon, serait de rallier deux tiers des électeurs macronistes, ce qui serait un comble pour celui qui entend s’opposer frontalement au Président réélu.

D’autre part, si Jean-Luc Mélenchon fut incontestablement le candidat le plus fort de la gauche, il n’en est pas pour autant le point d’équilibre, critère pourtant indispensable pour être en mesure de construire une coalition autour de soi. En effet, son programme radical, dont il ne paraît pas prêt à se défaire à ce jour, le place difficilement en position de pouvoir convaincre des partis plus modérés à rallier la fameuse « Union populaire ».

Ce n’est pas un hasard si les coalitions ne se construisent jamais autour de figures radicales, mais toujours centrales.

Mais l’on sait que les scores électoraux échappent généralement à la stricte logique mathématique. Cet élément de l’équation ne vient pas pour autant servir les intérêts de l’Insoumis en chef, bien au contraire.

Depuis hier soir, on entend que la France serait fracturée. Si tel est le cas, les fractures sont multiples car la France est surtout éclatée.

Il n’y a pas une division en deux du corps électoral, comme on a pu la connaître pendant des décennies. Il y a un éclatement entre les modérés, les radicaux, les extrémistes, les conservateurs, les progressistes, les blasés, les antisystèmes , les indolents, les déboussoléset tous ceux que l’on oublie. Les électeurs d’Emmanuel Macron d’un côté et ceux de Marine Le Pen de l’autre sont animés, chacun dans leur camp, par des motivations disparates, qui ne continueront pas nécessairement de converger lors des législatives.

Il en va de même des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, au premier tour : certains étaient sans doute convaincus par son programme, d’autres s’y sont surtout résignés en considération des sondages etpour tenter de porter un candidat de gauche au second tour ou pour faire barrage à l’extrême droite dès le premier tour.

Un tel éclatement rend donc non seulement une cohabitation improbable, mais également artificiel tout accord de coalition à gauche, qui contraindrait certains partis à renier leur identité, voire leur histoire.

Pourtant, cet éclatement rend tout aussi improbable l’émergence d’une réelle majorité au profit du Président réélu.

En effet, élu par accident en 2017, il est un Président élu par défaut en 2022, qu’une majorité d’électeurs ont choisi de soutenir faute de pouvoir porter leur suffrage sur un autre nom ou en raison des circonstances bien particulières de cette élection. On peut donc imaginer que l’élan dont il bénéficia aux législatives il y a cinq ans, grâce au renouveau que lui et son parti incarnaient, ne se reproduira pas à l’identique cette fois-ci.

Si bien que ce troisième tour tant attendu, car il est vrai qu’il soulèvera certainement de vifs débats dont on fut privé lors de la campagne présidentielle, faute d’un Président-candidat qui s’y plongea, pourrait déboucher sur une Assemblée éclatée, non seulement sans aucune majorité absolue, mais aussi avec trois ou quatre camps entre lesquels une entente sera difficile.

Pour l’éviter, une solution serait d’anticiper le ralliement de l’un d’entre eux au camp présidentiel. Soit celui de la droite républicaine, soit celui de la gauche modérée, à travers la nomination d’un Premier ministre dans lequel l’une ou l’autre se retrouverait. Ici, deux points attirent l’attention : le rôle de Nicolas Sarkozy pour la première, la volonté d’Emmanuel Macron de confier le sujet de l’écologie à Matignon pour la seconde..

Dans un cas comme dans l’autre, n’oublions pas que le Premier ministre nommé dans quelques jours sera chargé de mener la campagne des législatives. Et la surprise pourrait justement venir de là.

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