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Changer pour ne pas changer
La nomination d’Élisabeth Borne, c’est la reconduction de Jean Castex.
C’est une façon nouvelle de donner corps à l’analyse que nous livrait Guy Carcassonne, lorsqu’il expliquait qu’au lendemain d’élections nationales remportées par le Président de la République, le Premier ministre ne change pas. Ce fut le cas en 1965, avec le duo de Gaulle et Pompidou, après l’élection présidentielle qui permit au Général d’être réélu. Ce fut aussi le cas après des élections législatives, en 1967, avec le même duo, en 1973 (Pompidou et Messmer) ou en 1978 (Giscard d’Estaing et Barre). Certes, la situation fut différente en 1968, mais de Gaulle et Pompidou l’avaient tous deux remporté ce qui, aux dires du Président lui-même, faisait un de trop.
Aujourd’hui, Emmanuel Macron déroge pour ne pas déroger à l’analyse et change pour ne pas changer le Premier ministre.
Ce choix traduit trois éléments marquant un affaiblissement durable du Président de la République
Changer pour ne pas changer : c’est en effet ainsi que se caractérise la nomination d’Élisabeth Borne comme Première ministre, en remplacement de Jean Castex.
Elle n’a jamais été élue, à l’instar de trois de ses prédécesseurs lorsqu’ils accédèrent à cette fonction (Georges Pompidou, Raymond Barre et Dominique de Villepin), se distinguant ici de Jean Castex. Mais, comme lui, elle est femme de dossiers plus que de terrain, une technocrate qui accomplit les tâches et dirige les administrations qui lui sont confiées avec rigueur, en suivant la ligne qui lui est fixée : changer pour ne pas changer.
Elle serait issue de la gauche, mais n’a jamais été membre d’un parti politique avant 2017. Avant ses fonctions ministérielles, sa carrière politique fut surtout marquée par la direction du cabinet de Ségolène Royal pendant un an à peine. Son envergure et son poids politiques sont faibles, voire inexistants. Changer pour ne pas changer.
Elle doit tout à Emmanuel Macron, qui la fit Ministre puis Première ministre, la propulsant ainsi sur la scène politique nationale, comme ce fut le cas de Jean Castex. Changer pour ne pas changer.
Elle ne fera pas d’ombre au Président de la République, auquel elle n’apporte rien sur le plan politique, mais pour lequel elle s’acquittera de tout le travail de gestion : le chef du Gouvernement, c’est lui et la Première des ministres, c’est elle, selon la vision même du Général de Gaulle. Le chef de l’État continuera d’affirmer sa ligne politique, qu’elle sera chargée d’exécuter. Changer pour ne pas changer.
Malgré tout, ce choix traduit trois éléments qui pourraient bien marquer un affaiblissement durable du Président de la République.
D’abord, la nomination d’Élisabeth Borne est supposée ne fâcher ni la gauche ni la droite, pour autant elle ne satisfait ni l’une ni l’autre. En effet, elle est plutôt consensuelle, fidèle au chef de l’État et à sa majorité, provenant de la gauche qu’elle n’a pas vraiment trahie puisqu’elle ne fut jamais élue, elle a surtout servi la politique libérale, donc droitière menée au cours du premier quinquennat, se distinguant par les réformes très contestées de la SNCF et de l’assurance-chômage.
Cependant, précisément pour cette dernière raison, elle ne saurait satisfaire les électeurs de gauche, étant ainsi bien incapable de renforcer la jambe gauche de la macronie. De même, n’étant pas une figure issue de ses rangs, elle ne confortera pas la droite, qu’il aurait pu être opportun de séduire, pour consolider la future majorité.
Ensuite, le choix d’une Ministre en fonction tout au long du précédent quinquennat montre l’absence et, surtout, l’incapacité à débaucher de nouvelles personnalités. Des rumeurs ont circulé concernant plusieurs personnes qui auraient été sollicitées. Connaissant la stratégie d’Emmanuel Macron, consistant à affaiblir les autres pour se renforcer soi-même, on veut bien croire qu’au moins certaines d’entre elles furent de réelles tentatives… qui ont donc toutes échoué. Le tir sera peut-être corrigé avec la composition du Gouvernement, mais il sera en tout état de cause moins fort. Sans compter que cette composition devra en plus satisfaire les différentes composantes de la coalition et une attention particulière sera portée aux principaux ministères.
Enfin, si l’on en croit certaines sources « proches du dossier », comme le veut la formule consacrée, le Président de la République a été contraint de reculer, son choix s’étant initialement porté sur Catherine Vautrin, dont la nomination était quasiment confirmée. Mais, face à la bronca de certains piliers de la coalition Ensemble !, notamment Richard Ferrand et François Bayrou (donc de gauche « et, en même temps », de droite), Emmanuel Macron n’eut pas d’autre possibilité que de se raviser.
Le Président de la République se retrouve ainsi dans une position pour le moins délicate. Déjà affaibli par son élection, où il ne fut élu que par défaut, il l’est encore par cette nomination, à laquelle il dut se résigner et dont il devra se justifier.
En effet, si l’inconvénient d’avoir un Premier ministre avec une forte envergure politique est qu’il peut faire de l’ombre au Président de la République, l’avantage incontestable est qu’il l’aide à conforter son ascendance politique, en rassemblant une majorité, en pouvant la diriger et l’animer.
S’il ne s’agit pas de dire qu’Élisabeth Borne n’en est pas capable, il faut souligner qu’il lui manque une légitimité suffisante pour le faire. Elle n’y parviendra qu’avec l’aide du Président, qui sera toutefois déjà bien occupé à coordonner lui-même les différentes forces de sa coalition.
Bref, changer pour ne pas changer.