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Cinq questions sur le changement de Gouvernement

Vingt mois après sa réélection, Emmanuel Macron a décidé de changer de Premier ministre, non sans soulever quelques interrogations.

 

Pourquoi renvoyer Élisabeth Borne ?

Aucune raison institutionnelle ne le justifie.

Deux dossiers importants avaient été confiés à son Gouvernement : la réforme des retraites et l’immigration. Quoique non sans mal, ils ont tous deux été conduits à leur terme, dans les conditions voulues par le Président de la République : en abaissant l’âge légal de départ à la retraite, pour le premier et sans recourir à l’article 49, al. 3, pour le second. De surcroît, la Première ministre a su construire des « majorités de projet » sur les autres textes qui le nécessitaient. Elle a fait adopter les budgets. Ajoutons que si elle a dû avoir recours vingt-trois fois au 49, al. 3, elle n’a été mise en danger qu’une seule fois, échappant à la censure de neuf voix. Quant au rejet de la loi immigration, en première lecture, à l’Assemblée nationale, la responsabilité en incombe au Ministre de l’Intérieur, en charge du projet et au carrefour des négociations.

 

Élisabeth Borne détient désormais le record de brièveté du premier Premier ministre d’un mandat présidentiel 

S’il est fréquent qu’après un certain temps, un Premier ministre est congédié, même s’il a fait ses preuves, Élisabeth Borne détient désormais le record de brièveté du premier Premier ministre d’un mandat présidentiel, détenu jusqu’à présent par Jean-Marc Ayrault qui était resté vingt-deux mois.

Elle a donc bel et bien été « virée », pour caprice du prince et non pour faute personnelle ou excès d’orgueil.

Sa lettre de démission est d’ailleurs éloquente, reprenant très largement celle de Michel Rocard, en 1991, qui avait déclaré à la presse : « J’ai été viré ». À la formule « À l’heure où il me faut vous présenter la démission de ce Gouvernement » de 1991 répond celle « Alors qu’il me faut présenter la démission de mon Gouvernement » en 2024, tandis que les deux lettres débutent de façon presque identique : « Vous avez bien voulu me faire part de votre intention de former un nouveau Gouvernement » pour l’un, « Vous m’avez fait part de votre volonté de nommer un nouveau Premier ministre » pour l’autre.

Enfin, ce changement est risqué. Les élections européennes de juin prochain s’annoncent délicates pour la majorité actuelle et il sera difficile, dans cinq mois, de tirer les conséquences politiques d’un possible échec en nommant un nouveau Premier ministre.

 

Pourquoi nommer Gabriel Attal ?

Plus jeune Premier ministre à occuper cette fonction de l’histoire de la Ve République, le premier à avoir assumé ouvertement son homosexualité, un fidèle parmi les fidèles du chef de l’État, un sens politique aguerri et une communication aiguisée : autant de motifs justifiant ce choix… périlleux.

En effet, si aucune raison institutionnelle ne justifiait un changement, ce dernier est motivé par la perspective des européennes et la nécessité de l’emporter. Cependant, Matignon n’est pas Bruxelles et Gabriel Attal ne dirigera pas la liste. S’il s’investira dans la campagne, ce n’est guère lui qui la conduira. De surcroît, on sait que la fonction de Premier ministre est usante et qu’elle conforte rarement une popularité acquise.

Enfin, si Gabriel Attal ne déplaît pas à la droite grâce à certaines mesures qu’il a prises pendant les quelques mois passés à l’Éducation nationale, il est issu de la gauche socialiste, où il s’est formé et construit. Or les alliés de la majorité actuelle sont nécessairement à droite, qu’il s’agisse des partis de la coalition gouvernementale (MoDem et Horizon, Édouard Philippe étant d’ailleurs peu enclin à faire le moindre cadeau à ce dauphin de Macron) ou des Républicains, qui se situent à sa marge.

La personnalité très politique et issue de la gauche du nouveau Premier ministre risque ainsi de ne pas rassurer.

Un Gouvernement resserré est-il utile ?

C’est l’antienne que l’on entend systématiquement : le Gouvernement sera resserré, il ne comptera que douze à quinze membres. Souvent présenté comme un gage d’efficacité, un tel nombre traduit au contraire un renfort d’autorité… et il n’est jamais respecté.

Il renforce l’autorité car moins l’on est nombreux, plus la décision du chef s’impose facilement : il est plus facile de diriger une équipe d’une dizaine de personnes que d’une vingtaine ou d’une quarantaine. Il renforce encore l’autorité car les directions administratives réparties en une vingtaine de ministères sont alors concentrées dans une dizaine.

Surtout, les tâches gouvernementales, importantes et nombreuses, doivent nécessairement être distribuées entre un nombre certain de personnes. Si bien qu’aucune de ces promesses n’a été tenue et que, invariablement, lorsque l’on tente de restreindre le nombre de Ministres, celui de Ministres délégués et de Secrétaires d’État augmente.

 

Et le 49, al. 3, dans tout cela ?

Un doute existait quant à la possibilité, pour Élisabeth Borne, de recourir une nouvelle fois au 49, al. 3 pour un texte non budgétaire au cours de la présente session ordinaire, alors qu’elle l’a déjà activé le 15 novembre dernier, mais dans le prolongement d’une première activation au cours de la session extraordinaire. Le Conseil constitutionnel n’a pas tranché.

La Constitution ne dit rien quant aux conséquences d’un changement de Premier ministre sur le « compteur » du 49, al. 3. Mais le rapport sur la révision constitutionnelle de 2008, certes sans valeur normative, est clair : « dans le cas d’un changement de Premier ministre au cours d’une même session, il conviendra de lire la présente disposition comme permettant au nouveau Gouvernement de recourir de nouveau à la faculté de recourir à l’article 49, alinéa 3, même si son prédécesseur l’a déjà utilisé, au cours de la même session ». On peut donc penser que ces travaux préparatoires éclaireront l’interprétation que pourrait retenir le Conseil constitutionnel sur ce sujet et que Gabriel Attal pourra effectivement utiliser cet article durant la session ordinaire en cours.

 

Et le 49, al. 1, avant cela ?

Avant d’envisager l’usage du 49, al. 3, un nouveau Premier ministre a généralement l’habitude de demander la confiance de l’Assemblée nationale, sur le fondement de l’article 49, al. 1. Mais tous ne l’ont pas fait : Élisabeth Borne déroge à cette habitude, qui n’est pas une règle car rien ne l’impose, tout comme, avant elle, Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy. C’est-à-dire tous les Premiers ministres confrontés à une majorité relative à l’Assemblée.

Il est donc peu probable que Gabriel Attal s’y risque, s’exposant alors à un vote de défiance qui le contraindrait immédiatement à démissionner.

Comme elle l’a fait en 2022 contre Élisabeth Borne, La France Insoumise a déjà annoncé que, s’il n’y avait pas de 49, al. 1, il y aura un 49, al. 2, soit le dépôt immédiat d’une motion de censure. Promise à un échec certain, elle est une erreur stratégique : son rejet confortera le Gouvernement en montrant qu’il peut compter sur l’Assemblée nationale, où il ne se trouve aucune majorité pour le renverser, alors que ce dernier serait d’emblée affaibli, en étant incapable de solliciter la confiance, faute de majorité pour l’approuver.

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