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Budget : une crise politique, pas de régime
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Le verdict approche. En dégainant l'article 49, al. 1, François Bayrou tente de trouver une issue de secours, aussi bien personnelle que politique. S'il est désavoué, scénario le plus probable, son gouvernement tombera.
Crise politique ou crise de régime ? Nous avons demandé leurs regards au spécialiste de droit constitutionnel Jean-Philippe Derosier. Pour lui, qu'elle menace ou non nos institutions, la crise est sérieuse.
Et la marge de manœuvre d'Emmanuel Macron se réduit. Une nouvelle dissolution se profile, où planent déjà les petits calculs et les stratégies de boutique. Le RN, en embuscade, pourrait en sortir vainqueur.
Propos recueillis par Christophe Barbier.
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Comment décryptez-vous la décision du Premier ministre : engager la responsabilité du gouvernement ?
François Bayrou a voulu lancer un défi : « C’est moi ou le chaos. Soit vous me faites confiance et nous négocions entre forces politiques responsables, soit c’est le chaos car personne d’autre ne sera en mesure de faire mieux, donc il y aura dissolution. L’extrême-droite gagnera du terrain tout en perdant sa députée phare qu’est Marine Le Pen, tous les autres seront affaiblis. Et tout cela dans un moment où l’on est confronté à des crises économique et diplomatique mondiales. » Je pensais qu’il attendrait la rentrée parlementaire, mais il a d’évidence voulu précéder le 10 septembre. D’un côté, quinze jours de plus n’auraient pas été inutiles pour négocier ; de l’autre, si le 10 avait été un succès, cela rendait les choses plus difficiles.
Peut-il encore négocier et sauver son poste ?
La seule abstention du PS ne suffira pas, mais l’abstention du RN, si. François Bayrou est-il prêt, comme le fit Michel Barnier, à pactiser avec l’extrême droite ? Il est sibyllin avec le RN, il traite bien Marine Le Pen. Mais s’il fait, en situation de détresse, des concessions à l’extrême-droite, il perdra, comme Barnier, car on ne peut pas faire confiance au RN.
« Moi ou le chaos », ça marche rarement…
De Gaulle l’a tenté en janvier 1946 et ça n’a pas marché. Mais pour Bayrou, ce peut être gagnant-gagnant : soit ça marche et il en ressort grandi, soit ça ne marche pas et on ne pourra pas lui reprocher de n’avoir pas tout tenté. Il partira par une porte plus grande que celle qu’a prise Michel Barnier. Cela peut même constituer pour lui un capital politique.
En 1962, le gouvernement Pompidou est renversé, mais De Gaulle refuse sa démission…
C’était de la pure politique, et le Conseil d’État a reconnu la démission. Un refus de confiance impose la démission, c’est l’article 50 de la Constitution, et l’article 8 dit que le président met fin aux fonctions du gouvernement. Ce qui est possible pour Macron, c’est d’accepter la démission de Bayrou et de le renommer dans la foulée. Ce n’est pas à exclure, mais ce serait une provocation à l’égard de l’Assemblée.
S’il ne renomme pas François Bayrou, qui le président peut-il choisir ?
Après un Premier ministre de droite, Barnier, et un autre issu du centre, Bayrou, aller vers la gauche serait logique. Mais un gouvernement qui aurait le soutien de LFI aurait immédiatement 289 députés contre lui. Sans LFI, quelle personnalité pourrait obtenir un pacte de non censure ? Bernard Cazeneuve tiendrait trois ou quatre mois, Manuel Valls de même ; Raphaël Glucksmann ou Lucie Castets tomberaient tout de suite. Par ailleurs, rassembler d’Edouard Philippe à Fabien Roussel ressemblerait à une coalition à l‘allemande, ce qui renforce les extrêmes. C’est ainsi que l’AfD est devenue plus forte que jamais, et que Meloni est arrivée au pouvoir en Italie. Ce serait une solution dans l’immédiat, mais la promesse d’une grande défaite à terme.
Et un vieux sage revenu de toute ambition, comme Gaston Doumergue en 1934 ?
Pourquoi pas, mais qui ? Lionel Jospin n’en aura pas envie. Le Drian a été trop engagé derrière le président. Et puis, dans la Ve République, tout locataire de Matignon pense immédiatement à l’autre côté de la Seine...
La dissolution est-elle donc « inéluctable », comme le dit Edouard Philippe ?
Oui. La dissolution est la réponse classique, démocratique et attendue à la crise si la confiance est refusée. En 2024, elle a été déclenchée au lendemain d’une déculottée pour la majorité de l’époque et le président : elle s’imposait. Si Bayrou n’obtient pas la confiance, elle est tout aussi inévitable. Si le président dit avant le 8 septembre qu’il dissoudra si la confiance est refusée, ce sera dissuasif pour les députés, qui ne pourront pas dire qu’ils ont été surpris, contrairement à juin 2024. Ce peut être aussi un message à l’adresse des électeurs : préparez-vous ! Les Français pourront réfléchir pour opérer un choix plus clair qu’en 2024. Néanmoins, je ne suis pas sûr qu’une dissolution entraînera un retour à deux blocs opposés comme par le passé. Je suis même convaincu du contraire.
Vous ne croyez pas à une clarification ?
La politique réserve toujours des surprises, il faut se garder des pronostics. En juin 2024, Macron pensait que la gauche ne pouvait pas s’allier, elle l’a fait ; aujourd’hui, un « nouveau nouveau » front populaire semble difficile à réaliser, mais n’est pas exclu. Face à une situation contrainte, imposée, de refaire campagne en quelques semaines, tout est possible. Raphaël Glucksmann n’y retournera sans doute pas, mais cela dépendra aussi des autres forces politiques. En 2024, le PS rejoint le NFP car les Verts et les communistes y vont rapidement. Aujourd’hui, le PS est torturé entre la ligne d’Olivier Faure, qui veut aller avec LFI, et celle portée par François Hollande, qui veut le contraire : rien n’est joué.
Reste la démission du président…
LFI appelle à la destitution car elle veut le chaos permanent. Une interruption prématurée du mandat présidentiel ne ferait qu’ajouter de la crise à la crise. Se priver d’un Premier ministre puis d’un président, ce n’est pas très raisonnable.
Et une démission programmée, annoncée pour les prochains mois pour que l’on ait une vraie campagne, comme le demande Jean-François Copé ?
Pourquoi pas, mais il faut prendre en compte le calendrier électoral. Il y a les municipales en mars prochain. L’échéance claire de 2027 est connue et attendue de tous les Français, elle se prépare dans les partis, elle ne sera pas improvisée.
Macron peut-il utiliser l’arme du référendum ?
Quand on a étendu le champ référendaire aux sujets économiques et sociaux, en 1995, il a été précisé que la loi de finances ne pouvait être soumise à référendum. Il peut être utilisé pour d’autres sujets, mais c’est un risque. Si le président perd un référendum après avoir dissous en 2024 et en avoir subi les conséquences, cela deviendra très compliqué pour lui.
Vous évoquiez le 10 septembre : le fond du problème n’est-il pas que la démocratie représentative est dominée par la rue ?
Elle est défiée par la rue car les instances représentatives mélangent les contraires. Certaines forces politiques, les extrêmes et en particulier LFI, attisent cette rue et le chaos qu’elle anime, pour agiter l’invective et la « bordélisation ». Quant aux forces dites « de gouvernement », elles n’arrivent pas à intégrer, à canaliser ces mouvements déstructurés, parce qu’il n’y a personne avec qui négocier, comme on l’a vu avec les Gilets jaunes.
Peut-il en sortir un leader populiste, un Donald Trump, un Javier Milei ou un Beppe Grillo ?
Oui, c’est possible. Si une telle figure émerge et qu’elle est reconnue par le peuple, la France peut aller vers l’ochlocratie, le gouvernement de la foule. Mais ce sera forcément déstructuré. Le mouvement 5 étoiles a été le premier parti d’Italie puis a disparu. Son message était-il de gauche, de droite, d’extrême-droite ou d’extrême-gauche ? On ne l’a pas vraiment su. Les Français, eux, sont césaro-papistes, ils aiment la figure du chef, c’est pourquoi notre démocratie parlementaire porte à sa tête un président plus ou moins plébiscité par le peuple.
Est-on revenu à la IVe République ?
Non. Sous la IVe, un gouvernement tenait six mois en moyenne, donc il y a une ressemblance statistique, mais la durée du phénomène n’est pas la même : douze ans à l’époque, seulement trois ans aujourd’hui, depuis 2022. Si la situation se poursuit après Macron, au-delà du changement de figure présidentielle, alors oui, cela commencera à ressembler à la IVe République. Même su Macron a fait beaucoup de mal aux institutions depuis 2017, nous sommes dans une crise politique, pas - ou pas encore - dans une crise de régime.
Ne faut-il pas néanmoins bâtir une VIe République ?
Non, il ne faut pas de grand soir constitutionnel. En revanche, il faut penser les évolutions du régime pour un meilleur respect du Parlement. Il faut surtout un changement de mentalité. En 2017, Macron a pensé « j’ai gagné, donc je décide de tout » ; mais ça ne marche pas comme ça. Obliger un président à faire la différence entre une victoire par défaut face à un adversaire extrémiste et une élection face à un candidat républicain, ça ne se met pas dans la loi, c’est une question d’état d’esprit. La Ve République a établi des institutions plus fortes que les hommes, nous trouverons des solutions.
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