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Combat des minorités

La réforme des retraites a été adoptée et, sous réserve de l’examen du Conseil constitutionnel qui pourrait réserver encore des surprises, elle sera promulguée d’ici la fin du mois d’avril. Pourtant, jamais une majorité ne s’est prononcée en faveur de ce texte, qui a au contraire exposé un combat des minorités.

D’abord, on se souvient qu’en première lecture, l’Assemblée nationale ne s’est pas exprimée sur le projet de loi, puisque le Gouvernement a imposé le délai que prévoit l’article 47-1 de la Constitution, lui permettant de transmettre directement le texte au Sénat, après vingt jours. Pis, alors qu’une majorité avait rejeté l’article 2 du projet de loi, portant sur « l’index senior » – que le Conseil d’État considère ne pas devoir relever d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale –, le Gouvernement l’avait réintégré (comme il en a le droit) dans le texte transmis au Sénat.

Ensuite, il est vrai que le Sénat a adopté un texte, à deux reprises (en première lecture, puis en lecture CMP). Toutefois, nonobstant la qualité du travail législatif de la seconde chambre, le Conseil constitutionnel aura là aussi à se prononcer sur la multiplication et l’accumulation des armes de procédure, permettant de contraindre les parlementaires (irrecevabilité d’amendements, vote bloqué, clôture, etc.), notamment au regard de la clarté et de la sincérité du débat parlementaire. Surtout, il s’agit de la seconde chambre qui, dans le cadre de la procédure législative, ne dispose pas du dernier mot si bien que, si sa voix compte, elle est toujours subordonnée à l’acceptation de l’Assemblée nationale.

 

Même si la majorité de la rue ne peut s’exprimer sur le plan institutionnel, il aurait été judicieux de l’entendre 

Enfin, la Première ministre a été contrainte de recourir à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter la réforme par l’Assemblée nationale, confirmant que la majorité était, si ce n’est inexistante, au moins très incertaine. Et là encore, c’est une minorité qui y a contribué car cet article n’est activé qu’en raison de l’incertitude des voix des Républicains. C’était d’ailleurs leur intérêt de laisser planer cette incertitude, afin que le « 49.3 » soit mobilisé : ainsi, tout en ayant permis que la réforme soit adoptée, ils n’en seront pas totalement comptables, puisqu’ils ne l’ont pas votée.

Ils confirment ainsi leur rôle de « faiseurs de roi » : grâce à eux, une réforme peut prospérer mais, à cause d’eux, à tout instant, le Gouvernement peut être renversé.

Ainsi, la seule majorité qui paraît exister sur le texte est celle qui lui est hostile et qui s’exprime par l’intersyndicale et dans la rue. Si cette majorité n’a pas d’expression institutionnelle, car elle ne participe pas à l’élaboration de la loi, elle est tout de même directement concernée. D’une part, les syndicats sont les partenaires sociaux avec lesquels ce type de réforme doit se construire. Leur union ainsi que l’exemplarité des mobilisations qu’ils organisent doivent être saluées. D’autre part, cette réforme touchera tous les travailleurs en exercice, si bien que les mobilisations records traduisent là encore un message clair à l’égard du projet de loi.

Par conséquent, même si cette majorité ne peut s’exprimer sur le plan institutionnel, il aurait été judicieux de l’entendre.

Le Gouvernement s’y est refusé. Ainsi, une minorité est pour la réforme, donc elle est adoptée. C’est pour le moins paradoxal.

C’était sans compter sur un autre levier institutionnel mobilisé par les oppositions, qui pourra peut-être permettre à cette majorité non-institutionnelle d’exprimer son hostilité.

Une proposition de loi a été déposée afin de convoquer un référendum d’initiative partagé, sur le fondement de l’article 11 de la Constitution, fixant à soixante-deux ans maximum l’âge légal de départ à la retraite.

Elle ne peut pas, en tant que telle, suspendre ou bloquer la réforme : les deux processus sont parallèles et distincts. En revanche, si le Conseil constitutionnel, qui va également en être saisi, la déclare conforme à la Constitution, une période de neuf mois s’ouvrira au cours de laquelle les électeurs pourront décider de la soutenir.

L’importance de ce soutien sera déjà une façon de montrer l’intensité de l’hostilité à la réforme, cette fois par une voie institutionnelle. Il n’y aura plus de décalage entre les chiffres de la police et les chiffres des syndicats, mais un comptage unique, exercé par le ministère de l’Intérieur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel pour recenser tous les électeurs souhaitant que cette proposition de loi soit soumise à référendum.

S’ils devaient être un, deux, voire trois millions, ce serait constitutionnellement insuffisant pour que la proposition de loi prospère. Mais le chiffre serait si important qu’il aurait nécessairement des conséquences politiques. Et s’ils sont plus de 4,9 millions, soit plus d’un dixième du corps électoral, alors le référendum ne s’imposera pas encore, mais le Parlement pourra examiner ladite proposition de loi. Ce n’est que s’il ne le fait pas au cours d’un délai de six mois, que le référendum devra être convoqué.

Toutefois, là encore, une telle mobilisation citoyenne ne saurait rester sans conséquence politique et, quand bien même il ne s’agirait que d’une minorité du corps électoral, le rejet politique de la réforme serait manifeste.

Ainsi, ce combat des minorités n’est pas encore arrivé à son terme et. Si des minorités ont permis que la réforme se fasse, une autre pourrait empêcher qu’elle ne s’applique.

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