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La dissolution s’éloigne
Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs, le 14 novembre
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L’hypothèse d’une dissolution prochaine de l’Assemblée nationale paraît désormais s’éloigner, pour plusieurs raisons qui mêlent rigueur juridique et sens politique.
Rappelons néanmoins au préalable que le droit de dissolution n’est contraint que par un formalisme minimal et peut ainsi être usé de façon quasi discrétionnaire par le Président de la République. Seules s’imposent à lui l’obligation de consulter certaines autorités (Premier ministre et présidents des deux assemblées), dont on a vu, en 2024, qu’elle n’était encadrée d’absolument aucune forme, ainsi que l’interdiction de prononcer une nouvelle dissolution dans l’année qui suit les élections législatives consécutives à une première. Ainsi, depuis le 8 juillet 2025 à 0 heure, Emmanuel Macron peut dissoudre l’Assemblée nationale à tout instant.
Alors que la dissolution ne peut désormais plus être une solution pour adopter un budget, les députés seront confrontés à un sérieux dilemme
Néanmoins, depuis le 9 novembre et, à fortiori, à compter du 16 novembre, une dissolution devient beaucoup plus complexe à organiser. En effet, l’article 12 de la Constitution prévoit que les élections doivent avoir lieu 20 jours au moins et quarante jours au plus, après qu’elle a été décrétée. Ainsi, si elle est prononcée d’ici samedi, les élections auraient lieu au plus tôt les 7 et 14 décembre. Si elle est prononcée à compter de dimanche 16 novembre, elles auront lieu au plus tôt les 14 et 21 décembre.
Or, alors que nous n’avons pas encore adopté le budget pour 2026, il est impératif qu’une solution budgétaire soit trouvée avant le 31 décembre. Elle peut passer par une loi spéciale, comme l’an passé, ou par une ordonnance, sous certaines conditions.
Le même article 12 de la Constitution impose, en cas de dissolution, que la nouvelle Assemblée se réunisse, de droit, le deuxième jeudi qui suit son élection. L’objet de cette première réunion est d’élire son Président, puis de désigner les différentes instances. Dans l’hypothèse d’une dissolution prononcée d’ici samedi et d’élections organisées les 7 et 14 décembre, cette première réunion aurait lieu… le jeudi 25 décembre ! À défaut, si la dissolution est prononcée ensuite, cette première réunion ne pourra pas avoir lieu avant le 31 décembre.
Dans ce cas, le vote d’une loi spéciale, comme nous l’avons fait l’an dernier après la motion de censure contre le Gouvernement de Michel Barnier n’est plus envisageable, car il n’y a plus d’Assemblée nationale pour l’adopter et le Sénat n’est pas en mesure de le faire seul. En effet, la dissolution emporte la disparition immédiate de l’ensemble des députés composant l’Assemblée nationale dissoute (qui ne peuvent donc pas se prévaloir d’une quelconque possibilité de « gestion des affaires courantes », à l’instar d’un Gouvernement censuré).
Par conséquent, si l’Assemblée devait être dissoute à compter du 16 novembre et avant l’adoption définitive du budget, seule subsisterait la solution du recours aux ordonnances. Les articles 47 et 47-1 prévoient en effet que, si le Parlement ne s’est pas prononcé dans le délai de 70 jours (pour le budget de l’État) ou de 50 jours (pour le budget de la sécurité sociale), les dispositions du projet peuvent être mises en vigueur par ordonnance. Cependant, pour que cette solution puisse s’appliquer, il faut, d’une part, que le Parlement ne se soit pas prononcé. Donc qu’il n’ait pas émis un vote de rejet définitif sur les projets de loi concerné.
D’autre part, par respect du formalisme constitutionnel, il faut que le « projet » dont il est question dans ces articles existe toujours à l’expiration des délais, soit le 23 décembre pour le budget de l’État et le 12 décembre pour le budget de la sécurité sociale. Pour cela, le « projet » doit être sur le bureau du Sénat et non sur celui de l’Assemblée nationale : une dissolution rend en effet caducs tous les textes en cours d’examen à l’Assemblée. Si l’un des deux projets est donc encore ou revenu sur le bureau de l’Assemblée lorsqu’elle est dissoute, le projet est caduc et il n’est plus possible, formellement, de le transformer en ordonnance.
Le droit actuellement en vigueur ne prévoit pas de solution à cet inextricable problème rendant impossible, formellement, l’adoption d’un budget : il n’y a plus d’Assemblée pour l’adopter, car elle est dissoute et il n’y a plus de projet pouvant être transformé en ordonnance, car il est caduc. Il faut donc espérer, alors que le Président de la République dispose malgré tout d’un pouvoir quasi-discrétionnaire de dissoudre quand il le souhaite, qu’il fera preuve de sens politique pour ne pas le faire avant que les délais ne soient expirés.
Il faut admettre que la conduite des débats budgétaires nourrit l’espoir d’un compromis possible. Les débats sur le budget de la sécurité sociale se sont certes interrompus le 12 novembre à minuit, le Gouvernement ayant fait le choix d’appliquer l’article 47-1 de la Constitution qui lui permet, sans lui imposer, de transmettre le projet de loi au Sénat si l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée dans un délai de 20 jours. Mais l’Assemblée a examiné et adopté la suspension de la controversée réforme des retraites, qui figure en tout état de cause dans le projet de loi initial, grâce à la lettre rectificative adressée par le Premier ministre, le 23 octobre. De plus, le Gouvernement s’est engagé à intégrer et transmettre tous les amendements adoptés par l’Assemblée.
Une situation similaire risque de se présenter à propos du budget de l’État, l’Assemblée nationale disposant alors d’un délai de 40 jours, en vertu de l’article 47 de la Constitution, lequel expire le 23 novembre. Néanmoins, rien ne garantit que la première partie de ce budget, relatif aux recettes, soit effectivement adoptée, dès lors que le recours à l’article 49, al. 3 paraît exclu et que, sur le plan politique, il semble difficile que le Parti socialiste réitère ce qu’il a fait pour le budget de la sécurité sociale, en votant expressément pour. Le scénario le plus probable est donc un « jeu de la montre » et une transmission automatique.
Cependant, l’aboutissement de la procédure sera encore loin.
D’une part, le Sénat reviendra sur plusieurs décisions de l’Assemblée, impliquant d’engager de nouvelles négociations avec l’Assemblée et ceux qui pourraient y constituer une majorité. Elles auront sans doute lieu au stade la commission mixte paritaire (CMP), ou après son éventuel échec.
D’autre part, la probabilité qu’une majorité positive se dégage pour adopter l’ensemble des deux textes est très faible, voire inexistante. En effet, la seule abstention du Parti socialiste n’y suffira pas et elle supposerait soit qu’il vote pour, soit qu’un autre groupe d’opposition s’abstienne. Deux hypothèses très incertaines.
C’est pourquoi, alors que la dissolution ne peut désormais plus être une solution pour adopter un budget, les députés – et, en particulier, les socialistes – seront confrontés à un sérieux dilemme. Soit il faudra admettre que le budget soit mis en œuvre par ordonnance, au détriment de toutes les avancées acquises pendant le débat parlementaire. Soit il faudra se résoudre à le voir adopter en recourant à l’article 49, al. 3.Mots-clés: Sénat, Assemblée nationale, Article 47, Article 47-1, Article 49, Gouvernement, Président de la République, Parlement, Premier ministre, Parti socialiste, Élections législatives, Dissolution, Commission mixte paritaire (CMP)
