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Pour un Sénat rénové, car indispensable

Ce billet est initialement paru sous forme de tribune dans La Croix.

 

En cette période de célébration du 65e anniversaire de la Constitution, qui aura lieu le 4 octobre prochain, le Sénat, l’une des institutions les plus anciennes de notre histoire constitutionnelle, vient d’être partiellement renouvelé, confirmant son orientation éternellement conservatrice. Si tel était son nom lorsqu’il est apparu dans la Constitution de l’an VIII (13 décembre 1799), qualifié par le Titre II « Du Sénat conservateur », il ne s’agissait non d’une caractéristique politique, mais bien constitutionnelle, car il était alors chargé de « conserver » la Constitution, c’est-à-dire de veiller sur son respect. Il devait ainsi constituer un contrepouvoir, toutefois fortement limité par la puissance du Premier Consul, puis de l’Empereur.

Aujourd’hui, le Sénat de la Ve République exerce un rôle majeur dans l’équilibre des pouvoirs de notre régime, l’érigeant en contrepouvoir indispensable. En effet, la forte centralisation administrative et politique du régime, héritage du jacobinisme pour l’une et résultat du fait majoritaire pour l’autre, commande qu’une seconde assemblée parlementaire, représentant les collectivités territoriales, soit à même de limiter la politique majoritaire, sans pour autant l’entraver. Tel est le rôle qu’il endosse, le Sénat ne disant jamais « non » par dogmatisme et jamais « oui » par discipline, selon la formule de son Président actuel. Sa mission de vigilance, exercée lors de l’affaire Benalla ou au cours de la crise sanitaire, témoigne de la particulière nécessité de cette seconde chambre, dotée de pouvoirs importants, en mesure de freiner, voire d’empêcher la majorité présidentielle.


La légitimité du Sénat et son lien avec les collectivités territoriales en serait renforcée 

Néanmoins, le mode de désignation des sénateurs l’empêche de connaître la moindre alternance – et la période 2011-2014 n’en constitue pas une, car, s’il y a bien eu un Président de gauche au Plateau (Jean-Pierre Bel), le groupe majoritaire était toujours celui de la droite conservatrice (autrefois l’UMP) et cette élection était due à une convergence des oppositions au Président de la République alors sortant, dans la perspective de l’élection présidentielle se tenant quelques mois plus tard.

Le Sénat est aujourd’hui élu par un collège électoral composé à plus de 95% de délégués municipaux, donc issus des communes, qu’il s’agisse du seul maire, de quelques conseillers municipaux ou de l’ensemble du conseil municipal. Dans les plus grandes communes, qui comptent plus de 30 000 habitants, des délégués municipaux supplémentaires sont désignés, à raison d’un délégué pour 800 habitants.

En France, les communes peu peuplées sont nettement majoritaires : plus de la moitié comptent moins de 500 habitants, environ 29 000 comptent moins de 2 000 habitants et seul 1% des communes comptent plus de 30 000 habitants. Mais ces dernières correspondent à 35% de la population française. La conséquence sur les élections sénatoriales est que les petites communes (de moins de 9 000 habitants) représentent plus des deux tiers du collège électoral sénatorial, alors qu’elles correspondent à moins de la moitié de la population. Or elles sont essentiellement présentes dans un milieu rural, conservateur : le collègue électoral sénatorial est ainsi très majoritairement composé de délégués municipaux d’une affinité politique de centre droit.

Il est nécessaire d’y remédier, afin de faire taire les critiques et de préserver le Sénat, en faisant évoluer son mode de désignation en profondeur, pour en faire une institution démocratique, représentant les collectivités territoriales.

C’est aisément réalisable en prévoyant qu’une partie des sénateurs (environ la moitié) soit élue par les conseils des régions, des départements et des communes de plus de 100 000 habitants (on en compte 42) : en leur sein, un conseiller serait ainsi désigné pour siéger au Sénat. L’autre moitié des sénateurs serait élue par l’ensemble des conseillers municipaux de chaque région, regroupés en trois catégories : les conseillers des communes de moins de 1 000 habitants, de 1 000 à 9 999 habitants et de 10 000 à 100 000 habitants. Chaque catégorie élirait respectivement un, deux et quatre sénateurs dans chaque région.

Le Sénat continuerait de représenter les populations des collectivités territoriales, mais en offrant une représentativité moins importante aux petites communes. De plus, le lien avec les collectivités territoriales serait renforcé, puisque la moitié des sénateurs serait directement issue des assemblées délibérantes de certaines collectivités et continuerait d’y siéger. Par ailleurs, leur légitimité serait également plus directe car il serait possible d’identifier, lors des élections locales, qui serait appelé, en cas de victoire, à siéger au Sénat (comme c’est le cas du Maire, par exemple).

La légitimité de l’ensemble du Sénat et son lien avec toutes les collectivités territoriales en ressortirait elle-même renforcée, d’autant plus que l’alternance y serait plus aisée, confortant le caractère démocratique de cette assemblée parlementaire.

*

Cette proposition, déjà formulée ici, a été débattue au sein du GRÉCI, le Groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution et des institutions, à côté de plus d’une centaine d’autres.

Ce sont ainsi 130 propositions, articulées autour de 17 thèmes qui sont formulées, recouvrant tous les champs constitutionnels.

Elles seront présentées le mercredi 4 octobre 2023, au Palais du Luxembourg, lors d’un colloque organisé à partir de 14h, en hommage au 65 ans de la Constitution de la Ve République.

Le Président du Sénat ouvrira le colloque. Jean-Philippe Derosier présentera les résultats généraux du GRÉCI et des exposés mettront en avant certaines propositions. Jean Garrigues apportera un regard historique et Jean Gicquel livrera son témoignage de la Ve République.

Un débat politique portera sur « République renouvelée ou nouvelle République ? », auquel participeront Manuel Valls, ancien Premier ministre, Dominique Perben, ancien Garde des Sceaux et des Présidents de groupes parlementaires du Sénat. Thierry Beaudet, Président du Conseil économique, social et environnemental formulera une réflexion sur « Le cycle délibératif, ou une nouvelle méthode de législation ».

Ce colloque est public, sur inscription.

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