La loi de finances est composée de deux parties : la première détermine les recettes et la seconde est relative aux dépenses. Un vote doit avoir lieu sur chacune d’entre elles et il n’est pas possible d’examiner la seconde tant que la première n’est pas adoptée. La raison paraît évidente : si on n’acte pas « d’entrées » dans les caisses de l’État (les « recettes »), il n’est pas possible d’engager « des sorties » (les dépenses). Ce principe a pourtant dû être affirmé par le Conseil constitutionnel puisqu’en 1979, un cas similaire s’était produit : l’Assemblée nationale n’avait pas rejeté l’ensemble de la première partie (à l’époque, un tel vote n’existait pas), mais l’article dit « d’équilibre », soit celui qui détermine, en fin de première partie, l’état des recettes escomptées et qui doit ainsi fixer un plafond des dépenses. En rejetant cet article, c’était en réalité l’ensemble des recettes qui était remis en cause. Malgré cela, à l’époque, l’Assemblée avait poursuivi l’examen de la seconde partie du projet de loi de finances. Dans sa décision du 24 décembre 1979, le Conseil avait censuré l’intégralité du budget.
Il était une fois, dans un pays au Gouvernement fragile – on notera, au passage, l’emploi délibéré du singulier dans cette dernière qualification –, un Premier ministre qui devait affronter un débat budgétaire. En soi, telle aventure pourrait paraître bien ordinaire : elle se répète chaque année, dans chaque démocratie, traduisant la vitalité démocratique de pays soucieux du débat. Il peut arriver, assez occasionnellement en réalité, qu’un Gouvernement n’y survive pas mais le budget, quant à lui, parvient généralement à être adopté, sous une forme ou sous une autre.
Ce sera également le cas dans le pays concerné, malgré la triple fragilité du Gouvernement. Cette fragilité tient en effet, d’abord, à la « majorité » étroite sur laquelle il peut s’appuyer qui, d’ailleurs, en foi de majorité fait davantage office de « minorité », puisqu’elle ne compte que 211 députés sur 577, soit à peine 36,6% des effectifs, bien loin d’une majorité absolue. Ensuite, elle tient au caractère éclaté de la coalition soutenant le Premier ministre, qui se compose de quatre forces politiques, certaines s’étant parfois frontalement opposées dans un passé assez récent. Enfin, ce Gouvernement est d’autant plus fragile que son avenir est placé entre les mains d’une seule et unique cinquième force politique qui, pour le moment, le soutient tacitement mais pourrait décider de le renverser à tout moment, ou presque. Cette force politique n'est pas anodine car il s’agit de l’extrême droite, dont on sait que le soutien en question peut avoir un effet repoussoir et conduire d’autres forces politiques à renoncer au leur.
La motion de censure qu’affronte aujourd’hui Michel Barnier vient clore la séquence ouverte depuis le 9 juin et la dissolution, avant que n’en débute une nouvelle, dès le lendemain, avec la présentation du budget pour 2025. Elle n’aboutira pas, faute d’atteindre les 289 voix requises. Davantage qu’à une motion de censure, elle s’apparente donc à une motion de clôture.
Depuis le 9 juin, notre pays est plongé dans une crise politique, dont les racines sont bien plus anciennes et qui a multiplié les interrogations : pourquoi une dissolution ? L’extrême-droite gouvernera-t-elle ? Le front républicain fonctionnera-t-il ? L’Assemblée nationale est-elle gouvernable ? Quelle majorité peut se dessiner ? Qui sera Premier ministre ? Quelle coalition rejoindra le Gouvernement ? Combien de temps ce dernier pourra-t-il se maintenir ?
Une fois n’est pas coutume, avec la nomination du Gouvernement Barnier, nous avons un crash démocratique avant d’avoir un clash politique.
Ce crash était annoncé, depuis la nomination de Michel Barnier comme Premier Ministre : c’est la première fois de l’histoire de la Ve République que celui qui est chargé de définir la politique nationale n’a pas de mandat démocratique pour le faire. Notre régime est particulier, puisque c’est habituellement le Président de la République qui est investi de cette mission, même si la Constitution ne le dit pas. Il s’appuie alors sur une majorité (présidentielle) à l’Assemblée nationale, sur un Premier ministre et une équipe gouvernementale.
Il arrive qu’un tel mandat lui soit retiré, pour être confié à une autre force politique, dans les hypothèses de cohabitation. C’est alors le chef du bloc victorieux lors des élections législatives qui est lui-même désigné (Jacques Chirac en 1986 ou Lionel Jospin en 1997) ou qui désigne le Chef du Gouvernement (comme le fit Jacques Chirac pour Édouard Balladur, en 1993).