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Régionaliser la démocratie locale

La réforme territoriale est un mauvais refrain : elle revient à intervalle régulier, rythmant la vie politique, à peine modifiée d’une fois sur l’autre, sans jamais marquer le succès attendu et espéré. Aux yeux des élus et des citoyens, chacune des réformes complexifie plutôt qu’elle ne simplifie, rend plus illisible l’action locale plutôt qu’elle ne la clarifie, pèse sur les collectivités territoriales plutôt qu’elle ne les allège matériellement et financièrement.

Pour éviter cela une nouvelle fois, il faut changer le refrain et intégrer le citoyen au cœur de la réforme. Car c’est lui qui est appelé, in fine, à la comprendre et à la légitimer. Bref, à lui garantir son succès et son efficacité.

La régionalisation, c’est possible

Les réformes territoriales se suivent et se ressemblent. La prochaine dérogera-t-elle à la règle ? Depuis 1982, acte fondateur de la décentralisation, toutes les lois tournées vers ces réformes voulaient renforcer la décentralisation, clarifier la répartition des compétences, simplifier l’organisation territoriale de la France. Presque toujours en vain.
En effet, on n’a de cesse de créer de nouveaux échelons territoriaux, mais on ne supprime pas les anciens (l’exemple récent de la création des métropoles est topique). On propose de mettre fin à l’enchevêtrement des compétences, mais on ne parvient pas à assigner, à chaque niveau de collectivité territoriale, des compétences spécifiques et exclusives. L’État central veut décentraliser, mais il ne franchit pas le pas d’attribuer aux collectivités territoriales, ou à certaines d’entre elles, un pouvoir venant concurrencer le sien.

Le scrutin municipal : un match nul… ou presque

Dans bientôt un mois auront lieu les élections municipales. Les pronostics sur le grand vainqueur ou le grand perdant du ce scrutin se multiplient. Le PS et l’UMP ne manquent d’arguments pour justifier la victoire de l’un ou de l’autre camp : confirmer le nouveau cap fixé par l’exécutif et valider les réformes menées jusqu’à présent, ou, au contraire, sanctionner la majorité et mettre en cause la responsabilité du Président de la République.

Pourtant, de tels paris sont vains : le scrutin municipal débouchera sur un match nul, entre la majorité et l’opposition. Trois raisons essentielles le justifient.

Cumul des mandats : le Sénat en question

Tribune publiée dans Le Figaro, le 20 novembre 2013

L’interdiction du cumul entre un mandat parlementaire et un mandat exécutif local revient au Parlement cette semaine, en raison d’un refus exprimé par le Sénat. L’Assemblée nationale pourra passer outre, en statuant définitivement par un vote à la majorité absolue, s’agissant d’une loi organique qui n’est pas exclusivement relative au Sénat puisqu’elle concerne les deux assemblées.

En soutenant la volonté présidentielle, l’Assemblée nationale refuse une solution de compromis, proposée par le Sénat, constitutionnellement possible et justifiée : une interdiction applicable à l’Assemblée mais non au Sénat. Ce compromis offrirait un juste équilibre entre la logique historique, à savoir le cheminement vers l’interdiction totale du cumul, et la logique institutionnelle, c’est-à-dire le maintien d’un cumul encadré.

Selon la logique historique, il faudrait en finir avec le cumul des mandats car il serait la cause d’un absentéisme marquée au Parlement et il aboutirait à des rémunérations cumulées et, donc, inacceptables. Ce sont des idées reçues et fausses. Statistiquement, les parlementaires les plus cumulards ne sont pas les plus absents. Politiquement, un parlementaire ne cumulant plus gardera une attache de terrain dans la circonscription où il est élu et il y restera présent, à l’écoute de ses électeurs. Juridiquement, les rémunérations sont plafonnées et il n’est pas possible de cumuler les traitements de parlementaire et d’élu local dans leur totalité. L’interdiction du cumul pèsera donc davantage sur les finances publiques puisqu’il faudra rémunérer en totalité deux individus là où, actuellement, un individu cumule des rémunérations partielles.

La logique institutionnelle française justifie le cumul. Non pas en raison de la légitimité et de l’ancrage locaux qu’il offrirait, certainement pas pour des raisons historiques d’attachement au cumul. Ce sont là de mauvaises raisons. En revanche, en France, État unitaire, les institutions nationales sont le centre exclusif du pouvoir. La décentralisation a renforcé les pouvoirs locaux, sans leur permettre de s’affirmer pleinement, efficacement et durablement. Le morcellement communal prive les communes d’un poids et d’une initiative politiques. Le cumul des mandats permet ainsi aux collectivités territoriales de bénéficier d’une représentation nationale efficace, en plus d’être effective.

Elle est effective grâce au Sénat, qui les représente. On pourrait douter de son efficacité, le Sénat étant une institution nationale ne réunissant pas, de droit, les élus locaux, mais ceux qu’ils ont élus. Toutefois, de fait, plus de 75 % de sénateurs sont des élus locaux et près de 65 % ont une responsabilité au sein de l’exécutif. L’efficacité de la représentation des collectivités territoriales découle ainsi, également, du cumul des mandats. Le maintenir au profit du seul Sénat est dès lors institutionnellement justifié.

Est-ce, pour autant, constitutionnellement faisable ? Oui, incontestablement. La Constitution instaure un bicamérisme inégalitaire, dans les compétences, la représentativité et l’élection des deux assemblées. L’Assemblée nationale peut avoir le « dernier mot » et elle peut renverser le gouvernement. Toutes deux représentent la Nation mais seul le Sénat représente les collectivités territoriales. L’Assemblée nationale est élue au suffrage universel direct tandis que le Sénat l’est au suffrage indirect. Il en ressort une légitimité différente, plaçant les deux assemblées sur un pied d’inégalité. Là serait le fondement d’un traitement différencié de l’interdiction du cumul des mandats : n’étant pas élues sur les mêmes bases et ne représentant pas les mêmes corps politiques, une réglementation différente des incompatibilités afférentes au mandat ne saurait être inconstitutionnelle.

Enfin, les conditions permettant de déroger au principe d’égalité sont réunies. Celles-ci requièrent l’existence de situations différentes et une inégalité en lien direct avec la loi qui l’instaure. Le bicamérisme inégalitaire est la marque de situations différentes. Un traitement différencié de la limitation du cumul des mandats est en lien direct avec la loi réglementant ce cumul.

Institutionnellement justifiée, constitutionnellement fondée et juridiquement possible, l’interdiction inégalitaire du cumul entre l’Assemblée nationale et le Sénat serait alors une solution politiquement bienfaitrice.
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