De l’utilité retrouvée d’un mécanisme marginalisé : le référendum d’initiative partagée


Alors que l’on s’apprêtait à prendre « le clavier » – moins noble mais plus moderne que la « plume » – pour rendre à Bertrand Mathieu l’hommage qu’il mérite, voici qu’une actualité constitutionnelle vient bouleverser le projet initial. Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution connaissent un essor exceptionnel ces dernières années, justifiant une multiplication des critiques, un durcissement du contrôle de l’habilitation et une évolution de leur contentieux. À mi-chemin entre exercice du pouvoir réglementaire et du pouvoir législatif, entre rôle du Conseil d’État et rôle du Conseil constitutionnel, leur analyse, à l’aune de ces évolutions, correspondrait à n’en point douter aux préoccupations du dédicataire de ces Mélanges.

C’était sans compter sur une réforme qui n’aura eu de cesse d’interpeller les constitutionnalistes, tant elle a mobilisé et concentré des leviers constitutionnels, jusqu’au dépôt d’une nouvelle proposition de loi destinée à convoquer un référendum d’initiative partagée. L’opportunité était trop belle et l’occasion trop tentante de s’arrêter sur ce mécanisme, dont la transformation a évidemment retenu l’attention de tous ceux qui s’intéressent au fonctionnement démocratique de notre régime.

Imaginé par le Comité Vedel, cet instrument juridique a bien failli ne jamais voir le jour. Présenté alors comme « une réforme qui, sous réserve de certaines précautions, élargirait la démocratie », il n’est pas repris dans la révision constitutionnelle initiée par Jacques Chirac en 1995, qui a pourtant élargi le champ référendaire. Le Comité Balladur renouvela la proposition, mais le Président Sarkozy décida de ne pas l’intégrer dans le projet de loi constitutionnelle initial. C’est donc par un amendement d’Arnaud Montebourg, député d’opposition, que le dispositif sera finalement intégré à la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, dont on célèbre d’ailleurs le quinzième anniversaire. Mais il faudra encore attendre plus de six ans pour qu’il puisse formellement déployer ses effets, la loi organique nécessaire à son application tardant à être adoptée.

C’est dire si les pouvoirs publics étaient enthousiastes à renforcer ainsi la démocratie… par une dépossession, quoique limitée, du Parlement. Ainsi, au-delà même du retard, tout fut imaginé, ou presque, pour que cet instrument ne soit mobilisé que de façon marginale, les conditions de son activation étant telles qu’elles n’ont pas seulement vocation à filtrer son utilisation, mais surtout à décourager ses instigateurs. Mais la détermination de l’opposition parlementaire n’a de limite que celle que pose la Constitution et elle est ainsi toujours prompte à user de tous les leviers que cette dernière peut lui offrir, même lorsqu’ils n’ont pas été imaginés comme tels : c’est donc elle qui y a recours, en réalité assez logiquement, confirmant que cet instrument sert bien à renforcer la démocratie, c’est-à-dire l’expression démocratique des minorités qui espèrent devenir majoritaires.

Initialement pensé comme un instrument démocratique ne devant jamais servir (I), le référendum d’initiative partagée s’est ainsi transformé en un levier politique destiné à servir à l’opposition (II).

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