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Dose et overdose de proportionnelle

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un œil sur la Constitution », in Nouvel Obs

Tel un « marronnier », l’introduction du scrutin proportionnel aux élections législatives revient régulièrement dans le débat politique et lorsque certains renoncent finalement à le soutenir, on peut alors compter sur d’autres pour prendre le relai. Ainsi, alors que Nicolas Sarkozy, candidat en 2007, l’avait évoqué, il ne l’avait finalement pas réalisé, permettant à François Hollande, candidat en 2012, de promettre de le faire… pour finalement renoncer. C’est ensuite au tour d’Emmanuel Macron, candidat en 2017, de s’engager à introduire « une dose de proportionnelle », puis de continuer à penser que ce serait une bonne idée, lorsqu’il revient devant les électeurs en 2022… mais nous ne voyons toujours rien venir.

Aujourd’hui, Yaël Braun-Pivet propose d’introduire « une forte dose de proportionnelle ». 

L’introduction d’une dose de proportionnelle rend le scrutin plus complexe, ce qui est rarement un facteur de confiance des électeurs 

Les arguments des thuriféraires d’un tel mode de scrutin sont connus : il serait plus démocratique, il permettrait de mieux représenter la diversité des forces politiques, il serait plus fidèle aux choix des électeurs. Si tel était effectivement le cas, pourquoi n’est-il pas introduit ? Pourquoi Jacques Chirac, devenu Premier ministre en 1986, s’est-il empressé de rétablir le scrutin majoritaire et d’effacer ce que François Mitterrand avait fait ? Est-ce à dire qu’il n’est pas un démocrate, à l’instar de ceux qui promirent de l’implanter, pour finalement renoncer ?

Il n’en est rien, car les arguments régulièrement avancés en faveur du scrutin proportionnel ne résistent pas à une analyse minutieuse.

Étudions-les à la lumière de la réforme proposée par la Présidente de l’Assemblée nationale, qui reprend celle que le Modem avait faite en 2021, par le dépôt d’une proposition de loi à l’initiative de Patrick Mignola. Il s’agit de juxtaposer les deux modes de scrutin (majoritaire et proportionnel), en fonction de la taille des départements. Les départements qui élisent onze députés et plus le feraient au scrutin proportionnel, tandis que ceux qui élisent jusqu’à dix députés le feraient au scrutin majoritaire. Dans cette hypothèse, onze départements et 152 députés seraient concernés, soit 26,3% des effectifs de l’Assemblée nationale. Il s’agit des Bouches-du-Rhône (16 députés), de la Gironde (12), du Nord (21), du Pas-de-Calais (12), du Rhône (14), de Paris (18), de la Seine-et-Marne (11), des Yvelines (12), des Hauts-de-Seine (13), de la Seine-Saint-Denis (12) et du Val-de-Marne (11).

Il est évidemment difficile de faire des projections de résultats, car le changement d’un mode de scrutin peut à la fois modifier le comportement des électeurs et celui des candidats. Toutefois, l’extrapolation peut donner un aperçu. Ainsi, si le scrutin proportionnel (à un tour et à la plus forte moyenne) était en vigueur en 2022 dans ces départements, les variations auraient été les suivantes (à l’échelle de la France entière) : Ensemble (la coalition majoritaire) aurait eu 17 sièges en moins (233 plutôt que 250), la NUPES aurait eu 2 sièges supplémentaires (151 plutôt que 149), le RN 6 sièges en plus (94 plutôt que 88), la droite (LR et UDI) 7 sièges en plus (68 plutôt que 61), Reconquête aurait eu 4 sièges et les 2 députés dissidents de la NUPES n’auraient pas été élus. La variation aurait donc concerné 19 députés, soit 3,3% de leur nombre total.

Au-delà de permettre à un parti d’être représenté alors qu’il ne l’est pas actuellement, le principal enseignement de cette extrapolation est que, dans cette hypothèse, la somme des députés NUPES et RN (245) aurait été plus élevée que celle des députés de la majorité (233), alors que ce n’est pas le cas dans la configuration actuelle. Il y a là de quoi réjouir les oppositions actuelles !

Cependant, n’oublions pas que, par définition, l’opposition est minoritaire et que, par conséquent, la décision majoritaire est supposée lui échapper. Or ce qu’enseigne précisément cette extrapolation est qu’une telle dose de proportionnelle aurait sans doute rendu la prise de décision encore plus difficile qu’elle ne l’est actuellement. Si, selon la célèbre formule, la démocratie est « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » et qu’il est donc impératif de tenir compte de ce que souhaite le « peuple », il est tout aussi impératif de permettre de « gouverner ». À cette fin, on peut recourir à des mécanismes qui favorisent la prise de décision, tels ceux qui facilitent l’émergence d’une majorité, dès lors qu’ils tiennent compte de la volonté du peuple, dans sa diversité.

Au regard des résultats électoraux de 2022, on peut difficilement soutenir qu’il n’y aurait pas de diversité dans la représentativité : on compte aujourd’hui dix groupes parlementaires à l’Assemblée nationale. D’ailleurs, 2022 est moins exceptionnelle qu’il n’y paraît : certes l’émergence d’une majorité relative n’est pas fréquente, mais elle n’est pas totalement inconnue non plus et, surtout, le nombre de groupes parlementaires étaient élevés aussi au cours des législatures précédentes (jusqu’à sept entre 2012 et 2017 et jusqu’à dix entre 2017 et 2022). Par conséquent, la nécessité d’introduire une part de scrutin proportionnel afin d’assurer une meilleure représentativité ne se justifie pas. À l’inverse, cette introduction rend le scrutin plus complexe, ce qui est rarement un facteur de confiance des électeurs.

En définitive, la bonne marche d’une démocratie repose sur plusieurs équilibres. L’un d’entre eux réside dans la nécessaire représentation du peuple, dans sa diversité, à travers des mécanismes accessibles et compréhensibles, qui permettent la fluidité de la prise de décision. Le scrutin proportionnel n’y contribue pas autant que le scrutin majoritaire et le marronnier qu’il constitue pourra, une fois encore, être perçu comme un argument électoral, davantage destiné à satisfaire les ambitions personnelles de ceux qui l’avancent que les attentes démocratiques d’un peuple déjà effectivement représenté.

Nouvelle-Calédonie : les vrais enjeux du projet de loi constitutionnelle

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un oeil sur la Constitution », in Nouvel Obs.

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« Le jour le plus important, ce n’est pas celui du référendum, c’est le lendemain », selon la célèbre formule de Jean-Marie Tjibaou, en 1988. En effet, une nouvelle période s’est ouverte pour la Nouvelle-Calédonie à compter du 13 décembre 2021, soit le lendemain de la troisième et dernière consultation prévue par l’Accord de Nouméa de 1998.

Ce dernier, qui a valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil constitutionnel du 15 mars 1999, régissait une période transitoire d’une durée de vingt années, au cours de laquelle un processus d’accès à l’indépendance du Pays pouvait être organisé. Pour que l’indépendance soit définitive, elle devait être validée par les électeurs. L’Accord prévoyait qu’en cas de victoire du Non à la première consultation, une deuxième pouvait être demandée et, si le résultat devait à nouveau être négatif, une troisième et dernière consultation pouvait être organisée.

Le retour du cumul

En matière de cumul des mandats, les ambitions réformatrices sont inversement proportionnelles aux pratiques qui l’ont illustré : sur ces dernières, on n’a jamais fait les choses à moitié et la France se distinguait par ses excès. En revanche, tant en 2014 qu’aujourd’hui, les réformes s’arrêtent à mi-chemin.

En 2014, le cumul entre un mandat parlementaire et un mandat d’exécutif local avait été interdit, avec effet à compter de 2017 (et 2019 pour les députés européens).

Ce jeudi, une proposition de loi organique « visant à renforcer l’ancrage territorial des parlementaires », déposée par des députés Horizons, est inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Son article unique a pour objet de rétablir la possibilité de cumuler un mandat parlementaire avec un mandat d’exécutif local, à l’exception des chefs d’exécutif (Maire, Président de département ou de région). Il serait ainsi possible d’être député et adjoint au Maire ou sénateur et Vice-président de Département ou de Région, mais pas député et Maire ou sénateur et Président de Région.

L’IVG dans la Constitution : « Une avancée historique mais surtout symbolique »

Ce billet est initialement paru sous forme de chronique dans « Un oeil sur la Constitution », in L'Obs.

 

« Un oeil sur la Constitution ». Pour sa première contribution à L’Obs, le professeur de droit public Jean-Philippe Derosier explique que les débats sur le choix de la formule n’avaient pas d’autre objectif que de ralentir le processus. Car pour être pleinement garantie, l’IVG suppose de nombreux mécanismes qui échappent à la Constitution. Professeur agrégé de droit public à l’Université de Lille et titulaire de la Chaire d’Études parlementaires, il est responsable d’un groupe de réflexion sur l’évolution de la Constitution, le GRÉCI, qui a publié ce 4 mars l’ensemble des 130 propositions formulées au sein de ce Groupe.

 

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L’instant est historique. Mais il est surtout symbolique.

Ce 4 mars 2024, le Parlement s’est réuni en Congrès pour valider la vingt-cinquième révision constitutionnelle de la Ve République. L’instant est doublement historique. D’une part, la Constitution n’avait plus été révisée depuis juillet 2008, malgré plusieurs tentatives. Nous sortons ainsi d’une longue période d’immobilisme constitutionnel qui confirme que notre Constitution est à la fois suffisamment souple pour s’adapter et évoluer et suffisamment rigide pour garantir la stabilité. Cependant, si d’autres révisions sont d’ores et déjà annoncées, rien n’assure qu’elles puissent bénéficier du même succès, tant le cheminement constitutionnel est étroit. 

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